Pochettes surprises

Tout juste commandé avant les conseils consistant à ne pas trop solliciter la vente par correspondance, ce disque est néanmoins arrivé à bon port dans un bureau de tabac jouant les relais de poste. Merci au postillon s’il l’a livré en voiture hippomobile. On parle beaucoup de postillons maléfiques en ce moment, à en oublier ceux que l’on dénommait ainsi pour leur métier de conducteur. Ils se servaient même d’un cor afin de prévenir les relais de leur arrivée imminente.
Dans ce disque enregistré à Hollywood en 1954, Jimmy Rowles (1918-1996) avait de son côté choisi le piano pour produire cet album pas loin d’être merveilleux, avec Red Mitchell à la contrebasse et Art Mardigan à la batterie.

Mais ce qui frappe d’emblée c’est la couverture. Des millions de disques ont été produits avec des couvertures banales tandis que certains avaient plus d’ambition. C’est le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Et la productrice Fran Kelley, emballée par la musique de Jimmy Rowles, n’avait pas hésité en l’occurrence à faire appel au studio Howard Visual Advertising afin de réaliser une couverture si réussie qu’elle fait inévitablement penser aux grands artistes de l’art moderne. L’approche cubiste est en effet frappante. Cette couverture n’est pas sans rappeler « Les trois musiciens aux masques » que Picasso a réalisé en 1921. Elle ne fait en tout cas qu’ajouter au bonheur de l’écoute de ce 33 tours, « Rare but well done ». Pour se faire une idée du talent de ce trio on peut écouter « Topsy » (1) dont l’air gai, chic et entraînant, ne peut qu’apaiser notre humeur en ces temps de confinement contraint. Dans un commentaire figurant au verso de la couverture, Fran Kelley conclut que ce disque pourtant monophonique représente  « la quintessence de l’équilibre et de la clarté » et met au défi le consommateur de l’écouter pour s’en convaincre (« Listen and see if you don’t agree »).

Si l’on considère de près notre discothèque personnelle, l’on s’aperçoit assez vite que les éditeurs de disques ne se donnaient pas autant de peine pour séduire au premier regard. L’association de l’image et du son fait pourtant, à l’occasion, une belle addition. Lorsque la maison Plaisir Musical produit en 1963 les deux concertos pour violon de Serge Prokofiev (1891-1953) elle choisit pour l’honorer en pochette, une œuvre de Kandinsky exécutée en 1927. Ce faisant il y avait une cohérence à accoler d’une part un musicien réputé d’avant-garde, notamment repéré par Serge de Diaghilev, avec l’un des fondateurs de l’art abstrait. Kandinsky qui avait dit un jour: « La couleur est le clavier, l’œil est le marteau, l’âme est le piano avec ses nombreuses cordes, l’artiste est la main qui fait résolument vibrer l’âme au moyen de telles ou telles touches. » Quant à ce disque, il est accompagné d’une large notice du journaliste et musicologue Marcel Marnat (1933-) affirmant que ces deux concertos atteignaient ici « à la perfection immobile des chefs-d’œuvre de l’Art ».

Entamons maintenant un très large virage sur l’aile afin de rejoindre, c’est le cas de le dire, l’album « Flying teapot », quatrième album du groupe Gong sorti en 1973. La couverture qui montre deux gnomes verts en vadrouille dans le cosmos de la conscience au moyen d’une théière volante, est emblématique d’une décennie où l’on se bousculait les méninges avec bien d’autres substances que l’Ovomaltine  de nos goûters d’enfance. « Flying teapot » (2) correspond à la première partie d’une trilogie intitulée « Radio Gnome Invisible », trois disques majeurs pour un genre croisé de rock et de musique psychédélique.

Parmi les musiciens extraordinaires qui y ont contribué on compte le guitariste Steve Hillage (spermguitar, slow whale – guitare) cela ne s’invente pas, ainsi que l’un des maîtres du synthétiseur Francis Bacon (VCS3, elect piano, meat bass – basse, piano) et enfin la jouissive chanteuse Gilli Smith qui fut la conjointe et la partenaire de Daevid Allen (disparu en 2015), tous deux fondateurs de Gong. Leurs explorations musicales sont des références incontournables de la musique dite planante. « Radio Gnome est une sorte de radio musicale pirate télépathique qui émet à partir d’une théière volante provenant de la planète Gong » disaient-ils en liminaire via une calligraphie fantaisiste. Ce pourquoi la couverture de ce premier album collait si bien à un propos qui sonnait comme un avertissement d’embarquement façon Orly haute époque.

PHB

(1) Écouter « Topsy » de Jimmy Rowles
(2) Écouter un extrait de « Flying teapot »

 

 

 

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3 réponses à Pochettes surprises

  1. vera dupuis dit :

    Texte, Image ET Musique ! Merci Philippe pour cette tea-party matinale

  2. Witt dit :

    Ahah Gong, ma jeunesse… et après l’arrivée du batteur Pierre Moerlen Gong qui devient un groupe de jazz fusion britannique.

  3. Superbe pochette de Jimmy Rowles que je ne connais même pas, à ma grande honte!
    Que de découvertes confinées grâce à vous cher Philippe!

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