Ici, l’Arc de Triomphe n’est plus qu’un lointain tabouret, le Mont-Valérien un petit pâté de sable. L’Arche de la Défense à son niveau sommital, offre un extraordinaire bouquet de sensations visuelles. Depuis sa terrasse située à cent dix mètres (deux fois moins que la Tour Montparnasse, trois fois moins que la Tour Eiffel) le panorama qu’elle délivre coupe le souffle, selon l’expression convenue en pareil usage. Réfléchie par Georges Pompidou puis Valéry Giscard d’Estaing, finalement réalisée sous l’égide de François Mitterrand, l’idée ce monument était de créer un axe extraordinaire avec l’Arc de Triomphe tout en établissant par conséquence un lien avec la grande banlieue et même la campagne. En ces temps de psychose due au maléfique Covid-19, le toit de l’arche est quasi-désert. Après l’environnement grouillant d’individus croisés au sol, une fois arrivé en haut, l’impression de solitude n’en est que plus intense.
D’après le liftier en livrée qui accompagne le visiteur dans le tunnel transparent de l’ascenseur, la sensation immédiate de vertige est une épreuve communément partagée. Pour lui, dont le métier est de faire en permanence des allers et retours verticaux, c’est juste une blague. Cependant que l’emprunteur lui, rit jaune, au fur et à mesure que la machine s’élève sans bruit dans les airs. L’ascenseur s’arrête assez vite à hauteur de la galerie-musée qui expose en ce moment l’artiste-graffeur Cyril Kongo. Une fois sur place, il reste à gravir une volée de marches avant de se retrouver sur l’un des toits du monde et singulièrement celui des affaires. C’est le temple inca des amateurs de dividendes.
Il faut peu de choses en somme pour être saisi de vertige, soit 300.000 tonnes de béton coulées sous nos semelles. Probablement qu’une vache normande aurait dans un premier temps la même démarche flageolante, le même flottement cardiaque qu’un bipède d’envergure moyenne. Une vache alpine serait sûrement plus à l’aise.
Mais progressivement, le corps et le cerveau prennent de l’assurance. Au départ prudent comme un pied de Sioux pistant le bison, le pas finit par s’habituer. Les poumons profitent de l’aubaine. Il faut dire que la magie de cette vue à 360° opère comme une drogue euphorisante. De surcroît il n’est pas faisable de s’approcher du bord, sur cette surface garnie de moult filets de sécurité. En revanche il est possible de s’asseoir sur des bancs afin de reprendre ses esprits. Ce qui permet de se demander entre autres choses, si c’est la vue qui compte le plus ou le support. On arrive à pencher pour la première option tout en manifestant un muet respect à ceux qui ont conçu le second.
Le fait d’être en banlieue permet de considérer sous un jour très différent les toutes proches tours Nuages du quartier Picasso à Nanterre, ce qui peut aller dans le sens de la réflexion précédente. En déplaçant un peu le regard vers l’horizon, ce sont les modestes reliefs de la campagne environnante qui viennent nous rappeler d’où l’on vient sans nous indiquer pourtant où l’on va. Juste avant on slalomait parmi la foule affairée et voilà que l’on se prend à méditer, flirtant avec les prémices de l’ascèse.
À l’inverse si l’on braque nos rétines vers l’Est, c’est toute La Défense qui dresse devant nous ses arrogants gratte-ciels. Vus depuis l’Arche, on dirait un ensemble de pieux, comme un vaste piège destiné à décourager d’improbables géants extra-terrestres. Une menace bien vaine au passage quand on considère que la taille du virus qui fait actuellement frémir l’économie mondiale se compte en nanomètres. C’est d’ailleurs à la vitesse d’une dégringolade financière que l’ascenseur nous ramène sur terre. On ne repart pas, on dévisse, au même rythme que les grands indices boursiers.
Tout concourt ici à nourrir notre réflexion sur les vanités humaines. Il en ressort que descendre est bien souvent décevant. On sait bien du reste que l’humain qui s’épanouit en montagne se renfrogne dès son retour vers le niveau de la mer. C’est un fait maintes fois prouvé: c’est presque toujours au sol que nous attendent les ennuis. Lorsque l’esprit s’élève en revanche, il s’en déleste. D’ailleurs si le ticket pour le ciel francilien n’est pas donné (15 euros), c’est qu’il ne faudrait pas qu’un visiteur s’amuse à venir y déjeuner tous les jours en ruminant des plans d’évasion.
PHB
Merci pour ce voyage dans les airs. J’avais été invité sur cette plateforme à ses débuts, alors que les filets de sécurité étaient moins nombreux, et c’était très impressionnant, pas mal d’immeubles construits depuis, en moins.
Je suis toujours intéressé par la genèse des choses, des œuvres : qui l’a fait, comment, pourquoi. Et pour comprendre pourquoi l’arche a cette forme (qui est très incommode pour son utilisation en tant que bureaux, on y place en général les ministères nouvellement créés, avant qu’ils ne trouvent un hôtel du 18e libre dans Paris, s’ils ne disparaissent pas avant), pourquoi elle est légèrement oblique, qui est cet architecte improbable qui n’avait auparavant dessiné que sa maison et quelques chapelles et églises à Copenhague, le coût fabuleux pour cette prouesse technique accomplie par Aéroport de Paris et son architecte phare, et le mauvais choix des marbres des façades (dû à Juppé) et qu’il a fallu récemment remplacer (à grands frais, 270 M€ de mémoire) par du granit gris. Bref l’aventure de la plupart des bâtiments voulus par Mitterrand, je recommande fortement la lecture du livre de Laurence Cossé : « La Grande Arche » qui, bien que très documenté, se lit comme un roman.
Tres beau texte Philippe, qui nous élève au dessus des contingences. Merci!
Merci, Philippe, pour cette belle ascension matinale !
J’ajoute à cette belle escapade le souvenir de m’être allongée dans une chaise longue au grand soleil, bercée de doux remous rafraichissants, dans une quiétude estivale rare, avec , au loin, le brouhaha diffus de la grande ville alanguie .
Et comment vont les buis ? ils étaient bien malades ..Et il y avait une expo d’un (e)artiste très émouvante dont j’ai oublié le nom..