Cet intrigant ornement de char, anthropomorphe, remonte à la période Shang, soit plus de deux mille ans avant la Renaissance. Il est toujours surprenant de constater comment, à cette époque reculée, les métallurgistes chinois, maîtrisaient l’art de la décoration. À quel niveau artistique, pour un vase d’alcool ou un récipient à viande, ces designers avant l’heure, portaient si haut leur ambition. Le musée Cernuschi, qui sort tout juste d’une vaste rénovation de neuf mois, déploie à nouveau sa riche collection d’objets d’extrême-orient, augmentée en l’occurrence de 430 nouvelles pièces. Le parcours commence avec la présentation de la collection constituée par Henri Cernuschi (1821-1896) lors de son séjour en Asie entre 1871 et 1873. Il se poursuit à travers un périple dynastique, se prolonge avec différentes incursions vers la Corée, le Japon ou le Vietnam, avant de s’achever sur quelques éléments contemporains. Située dans la très distinguée avenue Velasquez, avec vue sur le parc Monceau, la maison Cernuschi nous livre ainsi quelques moments d’enchantement anachroniques.
Vers le milieu du 11e siècle avant notre ère, les Shang sont renversés par les Zhou. Sans entrer dans le détail complexe de ces histoires claniques, on constate avec satisfaction que le goût des belles choses n’a pas été altéré par cette alternance, bien au contraire. De lignée royale, les Zhou vont se maintenir plus de huit siècles au pouvoir. Il en résultera aussi des écoles de pensées majeures comme le légisme (pragmatisme basé sur la loi), le taoïsme et le confucianisme.
Et là encore on ne peut qu’être frappé durant cette période, par cette volonté de faire d’un simple poignard, un élément d’art. Il en va également d’un tambour de bronze qui a été retrouvé dans la tombe d’un aristocrate. Il nous est expliqué que le motif des oiseaux en vol figurant sur ce disque magnifique, était sans doute l’emblème du clan dominant, tout en symbolisant leur domination. Avec son étoile au centre, il ressemble à un bouclier gaulois, mais c’est là une bien vaine comparaison étant donné le décalage chronologique.
Seulement deux siècles avant l’arrivée du Christ, la dynastie Han boute la dynastie Quin hors du trône. Elle se maintiendra suffisamment pour devenir contemporaine de l’empire romain. On lui doit notamment ce merveilleux vase en forme de hibou, en terre cuite peinte (ci-contre). Ce substitut funéraire (parmi d’autres animaux) est grossièrement daté entre 200 et 9 années, avant et après Jésus-Christ. Mais il interpelle notre culture actuelle en établissant une étonnante jonction avec ce qu’a pu produire Picasso à partir du même substrat.
La scénographie (très pédagogique, notices et légendes faciles à repérer) de cette nouvelle présentation, enjambe allègrement époques et dynasties jusqu’à nous transporter au 21e siècle. Immense voyage de la culture asiatique qui nous accompagne en toute fin de parcours, à un buste en porcelaine réalisé par Ru Xiaofan, artiste chinois contemporain originaire de Nankin. Son buste féminin à tête de fleurs (voir plus bas) n’est pas spécialement représentatif de sa production, laquelle, à en juger par la galerie d’images disponibles sur Internet, s’inscrit dans une modernité parfois discutable. Ru Xiaofan est notamment l’auteur d’œuvres intitulées « Bubble Games », choses multicolores qui nous font bien mesurer la distance avec le savoir-faire et l’esprit raffiné de ses plus lointains ancêtres.
On peut du reste se demander si Henri Cernuschi, homme politique d’origine italienne, économiste au fait des questions monétaires, réputé proche d’Émile Zola, de Sarah Bernhardt ou d’Edmond de Goncourt, aurait apprécié que l’art contemporain fasse son entrée, si discrète soit-elle, dans ce lieu qu’il avait voulu en rapport avec une certaine idée de l’histoire ancienne. L’ayant cédé à la ville de Paris, il ne pouvait savoir que de nos jours et sous ce patronage, il fallait s’attendre à tout. Cependant que son héritage, soulignons-le, est tout de même parfaitement préservé dans son musée rénové.
PHB