Son nom est peut-être moins connu que celui de son compagnon de voyage Émile Guimet à qui l’on doit le musée parisien créé en 1889. Félix Régamey (1844-1907) représente pourtant une référence pour tous ceux qui s‘intéressent aux civilisations orientales. Illustrateur reconnu, il avait été séduit par les estampes d’Hokusai lors de l’exposition universelle de 1867 et s’était passionné pour le Japon. Il ne pouvait que s’entendre avec Émile Guimet qui rêvait d’un musée universel des religions. En 1876, les deux hommes entreprirent un long voyage en Extrême-Orient, et passèrent plus de six mois au Japon, y accumulant des précieuses connaissances. Leurs travaux comptèrent pour beaucoup dans la vogue de ce qu’on appela le japonisme dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Si nous parlons de ce personnage hors du commun, c’est à la faveur de la réédition moderne de son ouvrage – texte et illustrations- devenu introuvable depuis sa sortie en 1891 chez Hetzel (éditeur de Jules Verne) : « Le Japon pratique ». Jean-Paul Goujon, qui signe une introduction documentée, nous enseigne que ce républicain convaincu était un ami proche de Verlaine et Rimbaud : lorsque les poètes arrivèrent à Londres en 1872, leur première visite fut pour Régamey. On lui doit d’ailleurs un précieux dessin représentant les deux poètes français dans une rue de Londres. J. P. Goujon nous apprend encore que Régamey a laissé un croquis de Baudelaire attablé au café de Bade, en 1864, ce qui n’est pas rien.
Relire son ouvrage sur le Japon est aujourd’hui encore l’assurance d’intéressantes découvertes. L’auteur possède un sens scrupuleux de la précision, et le dessin est là pour étayer son propos. L’ouvrage se présente comme une sorte d’encyclopédie de la vie quotidienne au Japon, dans un style didactique qui exclut tout excès d’exotisme. Anticipant un peu les guides actuels du genre “Lonely Planet“ ou “Routard“, il nous renseigne aussi sur la pratique des arts spécifiques du Japon : ikebana, arts du bois, du métal, de la céramique, des tissus, de la laque, arts graphiques… De toute évidence, Regamey ne s’est pas contenté de descriptions approximatives. Son chapitre consacré à l’élevage des vers à soie est d’une diabolique précision. On apprendra qu’il faut donner à manger aux vers à soie « en moyenne cinq fois par jour, trois fois quand le temps est humide, six, sept ou huit fois par les chaleurs, lorsque le vent dessèche leur litière » . Lorsqu’ils se préparent à dormir «on répand sur le papier où ils se trouvent une couche de son de riz, puis on établit au dessus une sorte de filet couvert de feuilles de mûrier hachés».
Le chapitre sur l’alimentation japonaise est un véritable petite encyclopédie culinaire avec notamment la liste de tous les poissons servis aux tables japonaises, y compris le délicieux et très dangereux fugu : « sa puissance toxique est telle que les Japonais las de vivre y ont recours de préférence à tout autre forme de suicide ». Quant au thé, il est décrit sur plusieurs pages dans lesquelles l’auteur montre qu’il avait pu pénétrer dans l’intimité des familles nippones. Il est vrai que sa passion l’avait conduit à étudier la langue, qu’il devait pratiquer plus ou moins couramment et d’ailleurs, l’ouvrage se termine par une liste de mots japonais courants, pouvant aider le voyageur.
En rédigeant son «Japon pratique», Felix Regamey souhaitait sans nul doute faire partager partager au plus grand nombre sa passion. Son objectif devrait être atteint, tout comme celui d’Émile Guimet dont le musée ( place d’Iéna à Paris) constitue aujourd’hui un lieu incontournable de connaissances des civilisations orientales.
Gérard Goutierre
Éditions Bartillat, 310 pages 13 euros
Sortie le 12 mars 2020
Merci beaucoup Gérard de cette promesse de découverte !