Evasion picturale à Martigny (Suisse)

Les visiteurs qui se rendront les 17 et 18 mars prochains à la fondation Pierre Gianadda de Martigny, dans le Valais suisse, pourront bénéficier d’une visite guidée très particulière puisqu’ils y rencontreront l’unique propriétaire de toutes les œuvres exposées, Christoph Blocher. En l’occurrence, ce n’est ni l’homme politique aux positions parfois extrêmes (il fut conseiller fédéral) ni le milliardaire (il fait partie des dix familles les plus riches de Suisse) qui les accueillera : ce sera l’amateur passionné, le collectionneur qui a rassemblé un nombre impressionnant d’œuvres de peintres suisses ayant vécu aux alentours de 1900. Christoph Blocher a accepté de présenter au public une partie relativement importante de sa collection personnelle, à la demande et avec la complicité de Léonard Gianadda, président de la fondation créée en souvenir de son frère Pierre et qui, en quarante ans d’existence, a accueilli plus de dix millions de visiteurs.

Fils de pasteur « plus intéressé par l’art que par la théologie », Christoph Blocher n’avait de la peinture suisse que l’image des reproductions découpées dans les magazines ornant les murs de la maison familiale. L’âge venant – et aussi la réussite financière – il découvrit la passion d’acquérir les tableaux originaux. « Une vraie collection, dit il, c’est quand il y a plus de tableaux que de murs pouvant les accueillir ». C’est à peu près le cas aujourd’hui, nous dit-on.

La passion du milliardaire s’est portée essentiellement sur une époque et une région géographique : la peinture suisse au tournant du XXe siècle. Deux noms dominent : Albert Anker (1831-1910) et Ferdinand Hodler (1853-1918). Le premier est parfois considéré comme le peintre national suisse. Une réputation justifiée, puisque l’artiste, disposant d’une riche palette et d’une technique confirmée, est passé maître dans la représentation des figures le plus caractéristiques du « petit peuple » helvétique qu’il décrit avec un réalisme minutieux et une tendresse bienveillante. Ses portraits d’enfants, notamment, témoignent de cette humanité, tout comme ses portraits de vieillards dont les rides semblent autant de marques d’une certaine sagesse… ou d’une prudente résignation. Et quand Anker aborde les natures mortes (où l’on sent l’influence de Chardin), il choisit des thèmes directement en rapport avec le monde paysan (voir image en bas de l’article). On comprend dès lors que le peintre, vénéré en Suisse alémanique, ait suscité une iconographie populaire encore bien présente aujourd’hui dans la Confédération.

Bien différent est Hodler dont le tableau «Le lac Léman vu de Chexbres » est reproduit sur l’affiche de l’exposition. Issu d’une famille marquée par le fatum (sa mère et tous ses frères et sœurs moururent de tuberculose), il vécut essentiellement à Genève. Puissant paysagiste proche de Courbet et influencé par Puvis de Chavannes, il s’illustra également dans les portraits et les représentations de robustes hommes au travail, comme ce Bucheron qui illustra un moment un billet de banque suisse.

Au total, 128 tableaux sont présentés à Martigny. On découvrira d’autres artistes peut être moins connus, mais tout aussi intéressants, comme Adolf Dietrich (1877-1957), trop rapidement comparé au Douanier Rousseau. Plutôt que de naïveté, il faudrait plutôt parler d’un art décomplexé qui doit beaucoup à la formation autodidacte de Dietrich, plus soucieux de décrire une atmosphère que de représenter fidèlement un sujet. Certaines œuvres, dans lesquelles transparaît son amour de la nature, ont un parfum quasiment surréaliste.

Le nom de Giovanni Giacometti devrait interpeller le visiteur : oui, il s’agit bien du père du célèbre sculpteur de “L’Homme qui marche“. Un tableau (“Maternité“, 1908, image d’ouverture) nous montre la femme de Giovanni avec ses deux enfants Diego et Alberto, âgés de 7 ou 8 ans ; émotion garantie. D’Alberto lui même, on verra une de ses premières toiles peinte vers l’âge de 17 ans, un paysage de montagne d’une belle polychromie mais où le génie de l’artiste n’éclate pas encore.

Félix Vallotton (1865-1925) ne pouvait manquer à cette exposition. Né à Lausanne, le peintre vécut à Paris dès l’âge de 17 ans et obtint la nationalité française en 1900. Sa proximité avec les Nabis (dans le groupe formé par Paul Serusier, il était «le nabi étranger») n’eut finalement que peu d’influence sur son art très personnel. On trouvera ici trois tableaux de paysages, qualifiés par l’artiste de «paysages composés» avec cette précision : «sans superstition d’exactitude d’heure ou d’éclairage» .

L’exposition de la fondation Gianadda, riche et documentée, propose encore quelques artistes de talent comme Koller, Zünd ou Segantini et l’ensemble constitue un panorama assez séduisant de l’art d’un pays attaché aux traditions, soucieux de belle facture, loin des bouleversements esthétiques qui allaient secouer le XXe siècle.

Gérard Goutierre

Albert Anker : Leçon de gymnastique (1879)
Collection Christoph Blocher. ©Photo SIK-ISEA, Zurich Philippe Hitz

“Chef d’œuvres suisses, collection Christoph Blocher“
Fondation Pierre Gianadda, Martigny (Suisse).
Tous les jours de 10 h à 18 h, jusqu’au 14 juin 2020

Image d’ouverture: Giovanni Giacometti : Maternité (1908)
Collection Christoph Blocher. ©Photo SIK-ISEA, Zurich Philippe Hitz
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2 réponses à Evasion picturale à Martigny (Suisse)

  1. vera dupuis dit :

    Wenn einer eine Reise tut so kann er was erzählen ( Matthias Claudius 1740-1815), dit le poète; Ce voyage en Suisse , tableaux sous les yeux, semble passionnant.
    je viens jeter un coup d’oeil via le lien sur les autres tableaux exposées à la Fondation,
    une grande diversité, une vraie découverte, merci Gérard pour encore une fois avoir réussit à nous mettre l’eau à la bouche, heureusement mon Alpenstock n’est jamais loin pour vous suivre sur vos pas.

  2. DidierD dit :

    Vera : tableaux exposés mais toiles exposées
    Et encore : avoir réussi mais elle réussit

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