Il a suffi de regarder un plan afin d’honorer un rendez-vous quelque part dans le onzième arrondissement, pour s’apercevoir qu’il existe à Paris, un musée du fumeur. Ou plutôt un genre de brocante-musée tellement le lieu ferait frémir par son organisation et son apparence, le plus conciliant des conservateurs du Louvre. Il faut d’abord entrer par la boutique qui vend tout ce qui fait de mieux et même d’original, pour ceux qui ont choisi de quitter la combustion traditionnelle pour la vapeur. Mais derrière, moyennant deux euros et une sucette en guise de ticket, se trouve effectivement un musée du fumeur dont le manque d’entretien et le caractère modeste saute immédiatement aux yeux. Si le fumeur entre au musée c’est un signe des temps. Gageons qu’ouvrira bientôt un musée d’autres types de comportements humains entrant en désuétude, comme la pratique de la modestie ou de l’auto-dérision. Tout devient si sérieux.
On y trouve de tout, du paquet de Gauloises sans aucune mention de prévention, des publicités vieillottes, des jolies gravures comme une ancienne manufacture de tabac ou encore un marchand de curiosités en Égypte fumant le narghilé et toutes sortes d’objets destinés à fumer des substances illicites, comme le bong, la pipe à opium ou le shilum. L’espace dévolu est des plus étroits (l’équivalent d’un petit deux-pièces) au point que les murs de l’unique sanitaire ont été mis à contribution. Recouverts de photographies ils permettent de méditer agréablement sur les nouveaux dogmes de l’hygiène tout en délestant notre métabolisme.
Mais les parois du musée proprement dit sont là pour nous renseigner. Si la pipe à opium peut se passer d’explication puisque son énoncé suffit à en comprendre la finalité, il n’en va pas de même du bong dont l’usage n’est connu que des vrais amateurs. D’aspect phallique avec ses deux bambous, un pour la combustion un pour le bec, l’objet est techniquement une pipe à eau, le réservoir de liquide étant là pour adoucir le passage de la fumée dans la gorge. Le musée du Fumeur nous dit que les GI’s («Galvanized Iron» pour l’origine) soit les militaires américains missionnés en Asie après guerre, en ont découvert les propriétés dans leurs moments d’oisiveté. Ils apprenaient à ne tirer qu’une seule mais intense bouffée de marijuana et contribuèrent par la suite à en importer l’habitude qui devint une mode sur les campus de leur pays d’origine. Figure aussi tout le matériel nécessaire au fumeur d’opium soucieux d’être bien équipé, tels la pipe, le stylet, la spatule ou encore le bol spécial pour la cuisson du latex.
Le musée du Fumeur on l’a bien compris ne se limite pas à la consommation de tabac. Fondé en 2001 par Michka Seeliger-Chatelain et Tigrane Hadengue dans le but «d’informer sur l’acte de fumer et sur les plantes fumées». Il exhale au propre comme au figuré (mais surtout au figuré) un fort parfum de nostalgie comme cette fresque des Freak Brothers qui orne la salle du fond, trois personnages de la bande dessinée underground créés par l’artiste américain Gilbert Shelton en 1968. Sauf erreur de mémoire, les aventures de Freewheelin’ Franklin, Phineas T. Freakears et de Fat Freddy Freekowtski (y compris son chat cinglé) visant à se procurer de la drogue en abondance, parurent en France notamment grâce au magazine Actuel.
Si certaines époques apparaissent de nos jours bien révolues depuis Baudelaire, ou Apollinaire et plus tard encore les années soixante et soixante-dix quant à l’usage de la fumée qui fait rêver, force est néanmoins de constater que les pratiques se sont maintenues et même banalisées même si en France, la consommation de drogue est toujours interdite. Quelqu’un d’intelligent avait postulé un jour, que l’on n’empêcherait jamais les gens « de vouloir changer leur état de conscience », quitte à mastiquer du pneu. Il est assez courant dans les rues de Paris de marcher derrière quelqu’un lâchant à intervalles réguliers, un nuage d’une fumée dont l’odeur ne trompe pas. Et puis il y a les autres qui ont tout lâché pour le succédané qu’est la vapeur, laissant derrière eux de gros nuages de brouillard anodin aux arômes sucrés singulièrement entêtants. Dans les deux cas mais surtout dans le deuxième tout n’est qu’illusion. Le musée du Fumeur matérialise néanmoins les deux rives de deux états d’esprit bien distincts.
PHB
Le musée du Fumeur, 7 rue Pache, 75011 Paris
PS: La collection du musée ne comporte pas de cigarettes dites Parisiennes qui se distribuaient encore en paquets de quatre dans les années soixante-dix. Heureusement sur Les Soirées de Paris, il suffit de suivre ce lien.
Voilà qui donnerait (presque) envie de s’y remettre! Pour l’heure, je vais me contenter de feuilleter à nouveau l’excellent « Tabac et cinéma Histoire d’un mythe » d’Adrien Gombeaud chez Scope.
Et j’enchaînerai avec « La cigarette » d’Henri Crespi (Julliard).
Ah, lire/relire, quelle addiction!
Bonjour,
J’ai profité de votre article pour aller voir celui sur les P4, et tous ses commentaires, qui montrent que cela réveille des souvenirs. Moi aussi j’en a fumé vers mes 16 ans, dans les années 60.
Mais j’ai souvenir qu’il se disait qu’elles étaient fabriquées à partir de mégots ramassés dans la rue pas des clochards, qui les revendaient à la Régie des tabacs. D’où le goût assez fort car les mégots sont très chargés en goudron et en nicotine!
Quelqu’un (le musée du tabac?) pourrait-il confirmer, ou infirmer cela?
De mémoire cher Yves Brocard, il s’agissait de chutes de tabac d’usine, mais je n’ai jamais vérifié. PHB