Trois volets ouverts sur le Goulag

C’est probablement le seul ou l’un des rares moments de poésie qui ressort de la série de trois documentaires réalisés par Patrick Rotman sur le Goulag. C’est l’image d’un homme qui patine devant le camp de Vorkouta afin d’exprimer sa joie d’en être libéré. Stanislas était un Polonais, combattant de l’armée clandestine durant la guerre. Évadé d’Allemagne, il est fait prisonnier par les Russes et aussitôt déporté à Vorkouta, dans l’extrême-nord de la République socialiste soviétique autonome des Komis. En détention apprend-on, il réussit à fabriquer un appareil photo avec lequel il prend des clichés du camp. Sans doute qu’en 1956, lorsqu’il est enfin libre, a-t-il confié l’appareil à quelqu’un afin qu’il l’immortalise en train de patiner de joie sur le sol gelé. À la réflexion, à la 48e minute des trois volets sur le Goulag, c’est bien le seul joli moment qui nous est offert. Pour le reste c’est plus difficile.

Depuis le 4 février, les trois films sont disponibles en replay (rediffusion) sur le site Internet de la chaîne Arte. Le premier se consacre aux débuts du Goulag, le second est voué à la prolifération hallucinante d’un système économique généralisé sous caution d’épuration politique et le le troisième, s’intéresse à « l’apogée et à l’agonie » d’un univers carcéral unique en Europe par son ampleur. C’est dans ce dernier volet que l’on voit le fameux prisonnier polonais glisser sur la glace, dans la griserie de la liberté tant espérée. Le tout nous prévient-on, contient des « scènes déconseillées au public jeune ou sensible ». Un récit « qui se fonde », entre autres, « sur les recherches de l’historien Nicolas Werth, l’un de ses trois coauteurs, spécialiste du régime soviétique ». Notre focale sur les soubresauts bien souvent minables de l’actualité française s’en trouve brutalement réajustée.

Réalisé en 2017 par Patrick Rotman, 71 ans (ancien militant de la mouvance trotskiste, ancien journaliste à l’hebdomadaire Rouge), a donc l’ambition de tout nous expliquer. De la terreur soviétique et notamment stalinienne et à commencer par l’acronyme Goulag qui signifie « administration centrale des camps ». Un monde concentrationnaire qui fit d’innombrables victimes et fut un jour on le sait, dénoncé dans un livre par l’ancien officier de l’Armée rouge (prix Nobel de littérature), Alexandre Soljenitsyne. L’article 58 du code pénal relatif au délit de propagande anti-soviétique, était l’outil juridique de base pour adresser hommes, femmes, intellectuels, ingénieurs, militaires, voyous de droit commun, enfants, vers des chantiers gigantesques destinés là à creuser un canal, ici à perforer de la terre gelée à main nue afin d’en extraire de l’or. Vu les conditions d’enfermement et de travail forcé (famines, maladies, épuisement, exactions en tout genre) on se demande comment il y a pu avoir des survivants. Le taux de mortalité n’était « que » de dix pour cent.  L’un des mérites de ce tryptique documentaire est justement de faire témoigner les revenants. Le 5 mars 1953, après la mort de Staline, plus d’un million de prisonniers sont ainsi libérés. Khrouchtchev en 1956, dénonce publiquement les crimes du stalinisme et amorce un « dégel ». On estime qu’en tout, dix-huit millions de personnes au pedigree varié, ont fait un passage dans les camps.

Ce documentaire magnétise l’attention au point que l’on visionne les trois parties à la file, provoquant la plupart du temps, stupeur et consternation. Et c’est bien pour cela que la 48e minute du 3e volet est la bienvenue. Il n’y pas de son, l’image est seulement illustrée d’une musique off, presque gaie. Cet officier polonais (à gauche sur l’écran) a survécu. Pour lui la vie est redevenue belle, au point euphorie aidant, d’en chausser les patins et d’esquisser quelques fols pas de danse sur le sol glacé.

 

PHB

 

« Goulag, une histoire soviétique », Patrick Rotman. Disponible en replay sur Arte jusqu’au 10 avril

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2 réponses à Trois volets ouverts sur le Goulag

  1. Jean-Baptiste Ducournau dit :

    « En détention il réussit à fabriquer un appareil photo ». Dans le besoin ou au pied du mur l’être humain se révèle fascinant de débrouillardise et d’ingéniosité. Merci pour ces quelques lignes à forte décharge émotionnelle et cette suggestion d’un documentaire qui s’annonce poignant.

  2. Marc Welschbillig dit :

    « Sur la neige », justement, est le premier des « Récits de la Kolyma » de Varlam CHALAMOV (Ed. Verdier) – 17 ans de goulag !

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