Contrairement au sujet de la précédente exposition (“Fêtes et kermesses au temps des Brueghel“ : succès à l’avance assuré), le thème actuellement proposé par le Musée de Flandre à Cassel (Nord) peut sembler aride, austère, voire rébarbatif. Sous le titre « Sacrée architecture ! », l’établissement expose une cinquantaine de tableaux des 16e et 17e siècle représentant exclusivement des intérieurs d’églises des Flandres ou des Pays-Bas. Tous ces tableaux appartiennent au même collectionneur, ce qui constitue une autre particularité.
L’histoire de ce collectionneur anonyme – et qui tient à le rester – est assez étonnante. Rien ne le prédestinait à se passionner pour un tel sujet, si ce n’est peut-être son désir refoulé de devenir architecte.
C’est en passant devant la devanture d’une galerie londonienne, dans les années 1970, qu’il fut attiré, voire happé par un tout petit tableau de l’anversois Pieter Neefs. Il rentra dans la galerie, discuta longuement avec le marchand et se porta acquéreur de la toile qui représentait l’intérieur de la cathédrale d’Anvers. Cela marqua le début d’une passion dévorante (partagée par son épouse) qui le conduisit à travers l’Europe dans de nombreux musées, galeries et institutions, allant même jusqu’à Saint-Petersbourg où, en pleine guerre froide, on lui présenta quelques pièces rares gardées dans les réserves du fameux musée de l’Ermitage. La quête était toujours la même : les intérieurs des édifices religieux, tels qu’ils furent représentés après 1566, quelques années après le saccage des églises en Flandre lors de ce qu’on a appelé la “furie iconoclaste“ (“Beeldenstorm“). Les oppositions violentes entre catholiques et protestants se traduisirent dans les différences de représentations : perspectives imposantes et intérieurs fastueux des églises (catholiques) du sud des Pays-Bas ; intérieurs sobres, voire dépouillés des églises protestantes au nord, en Hollande.
On sera surpris par la présence, dans bon nombre de tableaux, d’une vie très active, palpable. Nous sommes loin du silence et des recueillements requis aujourd’hui dans les lieux de culte. Des personnages de toutes conditions s’y promènent tranquillement, des enfants jouent, et il n’est pas rare d’y voir des chiens errer aussi librement que dans la rue : pour reprendre l’expression des collectionneurs de cartes postales, il s’agit de tableaux «animés». Mais, si les peintures font preuve d’un grand réalisme, toutes les églises n’ont pas pour autant une existence avérée. Certaines sont des inventions de l’artiste, qui utilise des éléments provenant de différents édifices afin de créer en somme son «église idéale». Tous les artistes, ou ateliers d’artistes, font preuve de leur savoir faire, ce qui n’étonnera aucun amateur de peinture flamande. Deux noms sont ici à retenir : Pieter Saenredam (1597 -1692) et Emanuel de Witte (1617-1692), actifs à Harlem et à Delft.
Au sein d’une habile scénographie, sont présentées deux œuvres récentes du plasticien flamand Wim Delvoye, agissant comme une sorte de contrepoint aux tableaux anciens accrochés aux cimaises. Wim Delvoye est cet artiste volontiers provocateur qui s’est illustré, entre autres, il y a une dizaine d’années, en tatouant des cochons. Une réputation qui depuis, et sans mauvais jeu de mots, lui colle à la peau. Rien à voir ici : on découvre deux sculptures inspirées par sa passion pour l’art religieux, et l’art gothique en particulier. On verra notamment un bronze poli récemment acquis par le musée : « Möbius Dual Corpus Direct Current “, une sculpture elliptique d’un Christ en croix dans laquelle l’enfant terrible de l’art contemporain flamand montre sa propension pour le raffinement et la délicatesse.
Gérard Goutierre
Musée de Flandre, 59 670 Cassel. Tél. 03 59 73 45 60. www.museedeflandre.fr. Du mardi au dimanche, jusqu’au 14 juin 2020.
merci beaucoup d’avoir partagé votre visite. Je reconnais qu’en plus, une petite pique pour le grandes expos et une curiosité amicale pour un contemporain par ailleurs quelquefois décrié, me plaisent
Ah aller à Cassel !
L’enchaînement des passions : celle du concepteur de l’édifice, du constructeur, du peintre, du collectionneur, du conservateur (trice). Celle enfin du rédacteur, dont j’ai lu l’article avec passion. Merci à vous tous.
J’avais vu les (vrais) cochons tatoués de Delvoye exposés à Nice il y a quelques années, et franchement, ça m’avait dégoûtée, moi qui aime souvent mieux les bêtes que les gens!
bonjour Lise
la peau des cochons est celle qui est la plus proche de la peau humaine…
Je garde aussi un bon souvenir de l’expo sur le tatouage du Musée du Quai Branly -Jacques Chirac
amical salut mh
Mais Marie-Hélène,
cela ne me gêne pas que l’on tatoue des humains consentants, mais pas des cochons qui n’ont rien demandé! Et dont les gênes, en effet, sont à plus de 95% semblables aux gênes humains…
kisses du jour
Chère Madame,
où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir.
Mais sans gène, pas de plaisir non plus ! Vous l’avez compris, ce qui gêne le plus, dans le gène, c’est l’accent qu’on porte sur lui.
Quant à Wim DELVOYE, sa revisitation de la crucifixion (vous avez remarqué que de la choucroute d’Alsace à Carmen de Bizet, tout se revisite, maintenant) au travers de Möbius, porte une spiritualité étonnante. Une vision spirituelle de l’infini ?
Bravo Lise,
d’avoir défendu ces petits cochons qui ne rêvent sûrement pas de couiner à Sotheby’s !