La thématique s’annonçait passionnante. Pour sa nouvelle exposition, le beau musée du Jeu de Paume s’était donné pour objectif d’aborder le « Supermarché » des images, dans un monde monde saturé par l’image, bien loin de l’époque lointaine où la reproduction de quelque chose ou de quelqu’un se limitait à un simple reflet dans l’eau. L’idée était bonne, le sujet hautement contemporain dans la mesure où tout un chacun fait des images puis les publie sur les réseaux sociaux dans l’espoir de collecter des « like ». Mais le rendu de l’affaire est presque complètement passé à côté de la cible annoncée, à quelques exceptions près, comme cette proposition vidéo de Martin Le Chevallier (ci-dessus) qui a collecté des témoignages des travailleurs du clic, ces gens payés précisément pour gonfler les « like » et produire du commentaire à la demande. La voix monocorde de ces esclaves modernes s’inscrit, et c’est notable, dans le droit fil de l’idée générale.
Le visiteur qui déambule parmi les œuvres cherche et le plus souvent vainement, le rapport avec le postulat originel encore une fois bien riche en potentiel. Il en va ainsi avec le caddie plaqué or de Sylvie Fleury, objet dont le « pouvoir mystifiant » nous est rappelé dans la notice distribuée à l’accueil. Le caddie c’est évident, va de pair avec le concept de supermarché, mais le lien est quand même bien ténu avec la production panique d’images caractérisant ce début de siècle. On est déjà très loin de la cible pré-vendue et ce n’est pas le seul loupé.
Dans la même veine donc, mais brassant encore plus au large du sujet, il y a l’artiste Chin Chuyia qui confectionne devant nous avec « Knitting the future », des pelotes de poireaux. Un geste qui se veut « un cri d’alerte en faveur de la nature » mais entend aussi donner « davantage de visibilité au travail féminin, généralement moins considéré et moins bien rémunéré ». Fort bien mais à part le mot « visibilité » en quoi cette affaire fait-elle sens avec le supermarché des images? Ce n’est plus une exposition mais un fourre-tout d’énigmes à résoudre où pointe déjà le regret des expositions mono-thématiques du lieu, lesquelles, en se consacrant à un seul photographe, étaient mécaniquement cohérentes.
Une photographie géante de Andreas Gursky sur un lieu de stockage du géant de la distribution Amazon, des schémas de calculs financiers algorithmiques sur écran, une main lumineuse emplie de lignes de chiffres, quelques éléments de la vie moderne comme un disque CD au frigo dans une ambiance bleutée: le Musée du Jeu de Paume donne l’impression dans cette affaire d’être parti dans tous les sens, sans personne pour maintenir le cap.
Sans compter certaines facilités convenues comme cette cascade de quelque 20.000 films négatifs (détail ci-contre), ou surtout ce miroir siglé Getty Images, lequel « suggère que c’est tout le visible qui, à la limite, devient une banque de données ». Vraiment à la limite alors, cependant que le domaine économique constitué par les grandes banques d’images comme Getty, Corbis ou encore Fotolia auraient mérité à elles seules tout un développement avec l’avantage -ringard- de coller au plus près du sujet. Trop évident sans doute. En fait, on devine sans peine que l’angle général à peine défini, est devenu facultatif, au profit d’une banale foire aux idées contemporaine, hostile à tout cadrage.
On pourra néanmoins se consoler avec quelques matériaux conceptuels comme ce « Reçu de vingt grammes d’or fin contre une zone de sensibilité picturale immatérielle » signée Yves Klein. Son originalité profonde nous rassérène un peu, c’est dire le niveau de déception atteint. Même si ce ratage grand format adhère d’une certaine façon à une tendance qui ne s’embarrasse ni de pertinence, ni de cohérence, ni de logique, il apparaît bien clair que ce précieux musée du Jeu de Paume, doit se ressaisir au plus vite.
PHB
« Le supermarché des images », Musée du Jeu de Paume, jusqu’au 7 juin
Se ressaisir ?
Vous êtes bien gentil car les sommes folles investies ne sont rien d’autre que de l’argent public !