Comme il habite près de la Seine, Benoît Duteurtre a tenté l’expérience. Il est allé se promener sur les quais hauts où la pollution sonore et atmosphérique a augmenté depuis la fermeture des voies sur berges. Craignant d’être l’objet des idées reçues, il est descendu sur les quais bas, libérés des voitures. Piéton dans l’âme, Parisien sans voiture, il a n’a pu que constater la nouvelle autoroute urbaine constituée d’engins en tout genre qui filent le long du fleuve, pilotés par des néo-urbains jouant à éviter au dernier moment le promeneur adepte des flâneries mains dans les poches. Jamais cette cité n’a fait autant de bruit, jamais elle n’a déployé autant de chantiers gênants en même temps. Et il « faudra sans doute, prédit l’auteur, après son éventuelle réélection (de la maire ndlr), et dans l’attente des jeux olympiques, subir autant de nouveaux chantiers bienveillants pour aller toujours plus loin (…) dans la perspective d’un avenir radieux ». La ville qui, sous l’équipe actuelle, se piquait de « bien-être urbain » est devenue un espace hostile que Benoît Duteurtre s’applique, dans « Les dents de la maire », à décrire avec un humour qui allège l’ensemble.
« Il fut un temps, se rappelle-t-il en voisin, où Notre-Dame n’était qu’un lieu de pèlerinage, plutôt qu’une étape entre la Tour Eiffel et Eurodisney. » Il a vu la dernière boutique de journaux et d’images pieuses disparaître en 2018 au profit d’un glacier dont l’enseigne se métastase partout dans le monde. La ville a voulu une croissance du tourisme, elle l’a eue quoique dans le vocabulaire actuel de ses édiles, il y aurait en ce moment comme un léger rétropédalage. Forcément, cela fait drôle de voir de si nombreux Parisiens -sauf Benoît Duteurtre mais pour combien de temps- abandonner le centre ville. C’est à cause de ce tourisme de masse qu’il a fallu revoir les parois du pont des Arts qui croulait sous les love-locks, soit l’amour étrangement imagé par un cadenas. Un Paris devenu factice, fait pour les selfies de mariés venus de très loin, où l’habitant lui-même se sent étranger.
Assez justement, l’auteur estime que l’urbanisme Haussmannien, semble avoir été conçu pour le Paris de 2020 avec ses larges boulevards, ses jardins, ses fontaines, ses kiosques. Mais l’équipe actuelle a voulu y ajouter son grain de sable, en ôter certains de ses symboles, en briser dans une certaine mesure la logique de fluidité. Les mots « réenchantement » ou « réinvention » font alors caution et autorisent tous les excès.
Sous-titré « Souffrances d’un piéton de Paris », « Les dents de la maire » n’a pas d’autre prétention qu’un livre d’humeur où l’humour on l’a dit, en limite opportunément l’aigreur. Lorsqu’il peste à voix haute contre cette maire alors qu’il emprunte un taxi, il constate que son opinion sur les chauffeurs a changé. « Il n’y pas si longtemps dit-il, je voyais les taxis comme des beaufs misogynes et passablement fachos que je prenais plaisir à faire parler pour les entendre proférer les pires horreurs ». Aujourd’hui s’inquiète-t-il, il est en « symbiose » avec eux. Se pourrait-il que lui aussi tourne beauf et facho? Il n’en donne pas l’impression. Il trouve dans ce sujet sans fin, de quoi alimenter les conversations l’été, sur la plage de galets d’Étretat, avec sa cousine de gauche, Isabelle. Tandis que lui, on le devine, serait plutôt du côté droit. Ce qui ne l’empêche pas néanmoins de se montrer critique avec certains programmes dévastateurs de l’ère Pompidou-Chirac.
En fait l’exaspération à l’égard des saccages urbains n’a guère de couleur politique, ce que semble dire en filigrane Benoît Duteurtre. Il est un Parisien comme beaucoup d’autres qui voient jour après jour, baisser le niveau de leur agrément. Il déplore pêle-mêle, la perte de l’urbanité (la courtoisie, le respect de l’autre), les abattages d’arbres, la privatisation des lieux publics pour des manifestations événementielles et une propension fort désagréable de la part de l’équipe en place, à décider de l’emploi du temps des gens, comme la journée sans voitures, la nuit blanche ou incidemment les grands-messes sportives. Lesquelles viennent exalter une curieuse idéologie, dénoncée en son temps par cet authentique socialiste qu’était Léo Lagrange. Celui-là même qui avait dit avant de mourir d’un éclat d’obus en 1940: « … il ne peut s’agir dans un pays démocratique de caporaliser les distractions et les plaisirs des masses populaires et de transformer la joie habilement distribuée en moyen de ne pas penser. »
Benoît Duteurtre fuit cette ville qu’il aime (sauf les jours de pluie), il la fuira aussi en 2024 pour les jeux, comme il la fuit « de plus en plus souvent dès qu’un nouveau projet voit le jour pour (le) rendre heureux ». Il fulmine contre cette « ville-propagande » qui ne gère plus le quotidien de l’intérêt général (entretien de la chaussée, propreté…) et qui se veut « jeune et festive ». S’adapter ou partir, le vieil adage fonctionne semble-t-il toujours. Duteurtre veut redevenir ce piéton qu’il fut un jour, « débarquant du Havre pour conquérir la capitale ». Il lui arrive désormais de passer le périphérique en sens inverse afin de retrouver, dans cette proche banlieue à peu près intacte, ses plaisirs perdus.
Le pire nous prédit-on, (gens de gauche comme gens de droite réunis dans un même ras-le-bol) est que la maire a, à cette heure et divisions des oppositions aidant, des chances d’être réélue (1). « Et si je m’étais trompé sur toute la ligne, conclut Duteurtre, et si j’avais souffert durant ces quelques années pour mon bien? ». Et si Paris devenait « une oasis de bien-être »? Rien qu’en posant ces questions, il démontre qu’il laisse une place au doute, ce qui n’est pas vraiment le cas de la politique béate qu’il dénonce. Attention toutefois au syndrome de Stockholm.
PHB
Benoît Duteurtre « Les dents de la maire » Fayard 18 euros
On peut également se reporter au livre de Airy Routier et Nadia Le Brun « Sainte-Anne », sorti en 2019 chez Albin Michel, qui livre de la mandature actuelle un bilan éloquent, faits à l’appui.
(1) Malgré seulement 37% des Parisiens qui souhaitent sa réélection (sondage Odoxa paru le 26 janvier) mais grâce surtout à un système électoral indirect réservé à Lyon, Marseille et Paris.
Selon moi, Benoît Duteurtre se fait depuis longtemps une spécialité d’enfoncer les portes ouvertes, sur le plan musical comme sur les autres, et son style ne s’améliore guère….
Vous lire cher Philippe Bonnet est d’habitude un plaisir, le choix de vos sujets, la fluidité subtile de votre écriture… Mais pourquoi avez-vous décidé de soutenir ce médiocre pamphlet qui sort de manière si opportuniste en pleine campagne électorale? Pourquoi collaborer à tant de hargne (quelles sont vos sources pour dire que la pollution a augmenté)? Et j’aime Paris, même sous la pluie…