L’information justifiait de briser la trêve de Noël car on a retrouvé le certificat de décès de Alberto Eugenio Giovanni de Kostrowitzky, le demi-frère de Guillaume Apollinaire. On savait très peu de choses sur sa disparition en 1919 au Mexique. Il appert du certificat (ci-contre) daté du 5 juin 1919, qu’il a expiré la veille à 36 ans (à 14h45) d’une septicémie-phlébite-typhus dans un hôpital français au numéro 150 de la rue de l’hôpital. Le certificat dit aussi qu’il est agent de négoce. Selon nos recherches, il a été enterré au « Panteon Frances de la Piedad, Mexico, Mexique ». Toutes sortes d’informations que sauf erreur, les biographes d’Apollinaire ne connaissaient pas avec certitude. Récit d’une découverte avec l’aimable complicité de Gérard Goutierre pour la traduction.
Tout est parti du feuilletage d’un ouvrage de Peter Read sur les lettres, calligrammes et manuscrits de Guillaume Apollinaire (Textuel BnF éditions 2016). Peter Read évoque bien évidemment l’idéogramme paru un jour de 1914 dans les Soirées de Paris où il est question, dans « La lettre océan », de « Mon frère Albert ». En partant de l’éculé principe que l’on ne sait jamais, une recherche toute bête a été faite sur Google avec « Albert de Kostrowitzky » comme motif. Et là grosse surprise.
Il se trouve que depuis 1996 un site « Geneanet.org » a recensé via ses trois millions de membres, 6 milliards d’individus épinglés par certificats et arborescence. La page qui nous concerne contient trois images, l’une de Guillaume et Albert jeunes, l’autre de Albert tout seul en costume à l’âge adulte (ci-dessous) et surtout le fameux certificat. Bizarrement la notule accompagnatrice précise qu’il a disparu « dans des circonstances qui n’ont pas été élucidées » alors que tout est dans le certificat joint. Albert est tombé malade et il est mort d’une pluri-infection. Il est donc parti très vite, tout comme sa mère, après le décès de Guillaume en novembre 1918.
Albert a quitté la France en 1913. En janvier il est à Nantes. Au mois de février il rejoint Cuba « où il fait aussi chaud qu’à Paris en juin, tout le monde est en chapeau de paille », puis il débarque au Mexique en pleine guerre civile. Lui aussi entendra, comme un peu plus tard son frère sur le front, le bruit des canons et des mitrailleuses. Et lui aussi verra des défilés de cadavres. Comme le précise son certificat de décès, son métier est « agent de négoce ». Depuis son « apparto 2525 » à Mexico, il écrit à Guillaume en 1914 qu’il lui enverra sous peu des cigares dont il le prie d’en réserver une partie à sa mère. Dans la correspondance (entre la mère et les deux fils) parue chez José Corti en 1987 en collaboration avec Michel Décaudin, on comprend que le fil d’une vie de famille, même ténu, avait été soigneusement entretenu. Il y avait de l’amour entre ces trois-là. Le plus célèbre est enterré à Paris, la mère repose dans les Yvelines et l’on sait maintenant où gît le deuxième garçon. Si un lecteur des Soirées de Paris passe non loin du « Panteon Frances de la Piedad, Mexico, Mexique », nous lui saurons de gré de nous faire parvenir une photo.
PHB
Le site Geneanet sur la page d’Albert
C’est un joli cadeau de noël! Merci.
Merci, Philippe, des précisions inédites et si poignantes sur le destin d’Albert, au regard si doux, naïf sans doute, et pourtant courageux.
Et merci à vous, à Gérard et à tous ceux qui font vivre Les Soirées de Paris, revue de qualité, fidèle au poète de Calligrammes.
Cher Philippe Bonnet,
Avec retard, je vous remercie et vous félicite pour l’article du 20 décembre dernier sur la mort d’Albert de Kostrowitzky. Voua avez éclairé pour nous les derniers jours d’Albert à Mexico et nous en sommes très heureux.
Vos découvertes m’ont fait penser à une petite chanson que quelques apollinariens, conduits alors par Michel Décaudin, avaient composée lors du colloque de Stavelot de 1988. Pour votre amusement,et pour vous témoigner notre gratitude, je vous transmets ce petit texte sans prétention qui avait été intitulé « Albert retrouvé ».
En toute amitié apollinarienne.
Daniel Delbreil
Albert retrouvé
Sur l’air du Gorille de Georges Brassens
Tout un chacun vient en Ardennes
Et plus encore à Stavelot
Pour chanter les joies et les peines
Du bon Guillaume dit Kostro
Que dire encor’ de ce poète
Qui nous a réunis ici
Sinon un fait qui nous embête
Et qui doit sortir de l’oubli.
Rose à Guillaume
Car il y a une injustice
Dans ce culte si mérité
Elle vient d’un frère novice
Qui n’a pas de célébrité
Albert pourtant, comme Guillaume,
Mérite bien une chanson ;
Il nous faut célébrer cet homme
Une victime à sa façon
Merde à Guillaume
Guillaume avec toute sa gloire
A trop brimé celle d’Albert
Personne ne connaît l’histoire
D’un héros digne de son frère
Il était discret et bonhomme
Tout le contraire du frérot
Déjà soumis lorsque tout mômes
Ils ont posé en matelots
Rose à Guillaume
Il était sobre il était pur
De vic’ il n’en avait aucun
Ce qu’on ne peut dire à coup sûr
Du frère polisson et coquin
Il faisait bouillir la marmite
Quand Guillaume vagabondait
Et quand sa mère déconfite
Cherchait fortune aux jeux mauvais
Merde à Guillaume
Seule Angélique sa maman
Reconnaissant les vraies valeurs
Sut apprécier au bon moment
Son fils cadet son rédempteur
Optant pour la rac’ des fourmis
Se souvenant de Roann’-Coo
Elle envoya son fils chéri
Gagner sa vie à Mexico
Rose à Guillaume
Pendant ce temps en bord de Seine
Guillaum’ criait « Salutations »
Et récoltait sans trop de peine
Des bribes de conversations
Le pauvr’Albert trimait suait
Sous le soleil de Mexico
Et à Angélique envoyait
Les rogatons de son écot
Merde à Guillaume
Suivons les traces d’Angélique
Reconnaissons enfin aussi
Tous les mérites mirifiques
De ce pauvre frère incompris
Laissons un peu ce cher Guillaume
Dont le renom est planétaire
Et chantons celui qui se nomme
A tout jamais le grand Albert
Rose à son frère
Le Concours des Oblongs
Chanson créée à Stavelot le 3 septembre 1988
Merci cher Daniel Delbreil pour cette contribution! PHB
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