Sa femme se nommait Winona et elle « appartenait à la catégorie de celles qui vivent avec la conscience, à chaque seconde, de ce que la vie est beaucoup trop courte et précieuse pour accepter de la ralentir dans les files d’attente des problèmes subalternes ». C’est ainsi que Paul Hansen, héros du dernier livre de Jean-Paul Dubois, résume avec pertinence celle qui devait entrer dans sa vie. « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » a obtenu le Prix Goncourt. C’est un livre qui se lit facilement, cependant qu’il n’est point nécessaire de se munir d’oxygène: l’ouvrage croise, comme ce monomoteur que pilote justement Winona, à une altitude raisonnable.
Celui-là est un Beaver DHC2 construit par De Havilland depuis 1947. Son moteur est un Pratt et Whitney. Jean-Paul Dubois aime ce genre de précisions qui émaillent son roman. Il y est également question d’un modèle NSU expérimental et d’une DS 19 encastrée dans un platane. Quand il était jeune, son héros a travaillé dans un garage où il effectuait des vidanges à la chaîne. « Lubrifier n’est pas un métier », écrit l’auteur qui s’évade (et nous avec) une nouvelle fois, en professant que « personne ne peut passer ses journées à vanter l’onctuosité de la Valvoline Motor Oil, l’Amazon Basics, la Pennzoil, la Royal Purple Synthetic, l’Amsoil ou la Quaker State Oil ».
Indépendamment de ces descriptions fleurant bon le cambouis des vrais amateurs, son roman a effectivement quelque chose d’un moteur qui tourne rond, d’une mécanique qui baigne dans l’huile. L’histoire se passe principalement au Canada. Elle raconte la vie d’un homme emprisonné pour avoir tenté de tuer le président du conseil syndical d’un immeuble de luxe où il officiait comme concierge en chef c’est à dire superintendant. Il purge une peine de deux ans d’emprisonnement aux côtés d’un biker qui -là encore- s’intéresse surtout aux moteurs des Harley Davidson.
Jean-Paul Dubois plante son décor et ses personnages avec efficacité, jamais on ne s’y perd. Son héros, né à Toulouse comme lui, subit la promiscuité dans une cellule de prison canadienne. Il nous fait partager tout ce à quoi il faut s’attendre lorsque l’usage des toilettes se fait à proximité de l’autre. Cet autre qui lui demande aussi de bien vouloir lui tourner le dos deux minutes afin qu’il puisse se masturber tranquillement. Petit à petit l’histoire se dévoile et notamment la rencontre avec Winona, à laquelle se rajoute l’adoption d’une petite chienne. Deux êtres qui auront disparu lors de sa sortie de prison.
Le romancier donne corps à ses personnages et surtout à celui de Sedgwik, le nouveau patron de l’ensemble résidentiel dans lequel il officie comme superintendant. Ce Sedgwik est un tyran qui vient mettre à bas la vie jusqu’ici tranquille de Paul Hansen. Comme tout un chacun a pu connaître au long de son existence -professionnelle ou non- le débarquement d’un empoisonneur ou d’une empoisonneuse, comme patron ou voisin, la séquence provoque forcément une certaine empathie. Tenir ou fuir, là est dans ces conditions, toute la question. Paul Hansen choisit de tenir et c’est comme ça qu’un jour, poussé à bout, il sautera à la gorge de son supérieur avant de rejoindre une prison.
« Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » est un roman honnête dont le handicap sans doute, est d’avoir obtenu le Prix Goncourt. Un tel sacrement en effet prédispose à l’admiration. On s’incline d’avance alors qu’il nous fait juste passer un bon moment, le temps d’arriver quelque part. Il faudrait inventer le prix TGV, ce serait moins pesant pour l’auteur et pas désobligeant pour autant.
PHB
« Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon », JeanPaul Dubois, éditions de l’Olivier, 19 euros.
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