Quand j’ai annoncé la nouvelle à mon ami, il n’en revenait pas. Il n’est pourtant pas du genre à s’en laisser conter (pensez donc : il est Parisien). Mais là je l’ai senti étonné, presque admiratif. D’ailleurs il n’a pas hésité et m’a répondu tout de go «Alors là, je viens». Je venais de lui apprendre que j’organisais chez moi une « soirée diapos ». Oui une vraie soirée privée où je projetterai des diapositives, à l’ancienne, en vrai et en direct, bref en live, avec un projecteur et un écran sur pied. Une soirée comme celles auxquelles vous avez forcément assisté un jour ou l’autre, à condition que vous soyez de la génération de ceux qu’on appelle aujourd’hui les boomers.
Ma démarche, je le reconnais, était assez courageuse. La simple évocation d’une soirée diapos suscite invariablement des sourires goguenards, ou même des remarques désobligeantes chez ceux qui se prétendent mes amis. Comme s’ils avaient tous été victimes un jour ou l’autre d’interminables soirées où, emprisonnés dans une pièce obscure sans possibilité d’en sortir, ils avaient été contraints de regarder des centaines de photos à peu prés identiques de vacances sur la côte adriatique, l’intérêt d’une seule d’entre elles n’ayant d’ailleurs pas été établi.
Ce type de soirée est en tout cas un bon marqueur du fossé entre les générations. À l’inverse de ces quadras ou quinquas grincheux, les plus jeunes de mes amis répondirent avec enthousiasme à ma proposition. Cela représentait pour eux une sorte d’aventure exotique, la découverte inattendue d’un passé révolu mais fantasmé. Je n’aurais pas eu plus de succès en leur proposant un tour de France en 2 CV.
Organiser une soirée diapos nécessite une préparation minutieuse. Ce n’est pas gagné d’avance . Une ou plusieurs répétitions seront indispensables si l’on ne veut pas prendre le risque d’un échec signifiant souvent l’éloignement plus ou moins définitif de vos amis. Le matériel doit être en état de marche et il est nécessaire d’avoir à sa portée de quoi surseoir à l’éventuelle panne. Une ampoule de rechange est indispensable. Une lampe qui grille c’est un peu comme le réacteur d’un Boeing qui prend feu. La question de l’écran n’est pas à négliger : vous n’êtes plus étudiant et ne vous contenterez pas d’un drap blanc punaisé sur le mur. Si vous n’en possédez pas, faites le tour de vos connaissances ou explorez brocantes, vide-greniers ou sites de ventes entre particuliers. De même, veillez à ce que le support du projecteur soit autre chose qu’un empilement hasardeux de dictionnaires et de gros livres d’art généralement entreposés tout en bas de votre bibliothèque. Une soirée diapos est une chose sérieuse. On ne plaisante pas avec cela.
Reste l’essentiel du sujet : les photos, vos photos. Vous ne présenterez que les plus originales, les plus réussies, autant par le sujet que par la technique. Vous aurez pris soin d’éliminer celles qui ont subi les outrages du temps. Si les couleurs ont pâli ou si l’image semble délavée, soyez impitoyable. Veillez à ce qu’elles soient parfaitement logées dans leur petite case, dont elles ne sortiront que quelques secondes pour subir l’épreuve de la lumière et devenir l’objet de toutes les attentions. Rien de plus agaçant qu’une photo qui se retrouve à l’envers au beau milieu d’une projection. Si malgré toutes vos précautions, une diapositive se trouve inopinément coincée en cours de projection (panne courante), pas d’affolement : une pince à épiler et la lampe de poche vous permettront d’en venir à bout sans trop retarder la séance.
Vous êtes prêt. C’est le grand soir. Après les salutations d’usage, les échanges de compliments, une fois les boissons de bienvenue servies, vous devrez faire preuve de maîtrise de soi, et d’attention à l’autre. Il s’agit avant tout de n’ennuyer personne. Personnellement, j’ai une astuce : je m’efforce de mélanger mes photos le plus possible afin de garder intact l’effet de surprise. Je ne les commente que si on me le demande, ce qui arrive à peu près toujours. Je ne m’attarde pas lors de la projection, mais si l’auditoire estime que l’on passe trop rapidement d’une photo à l’autre, c’est bon signe. Encore mieux si l’on réclame « la photo d’avant ».
Vous serez récompensé d’avoir mis toutes les chances de votre côté. Vous aurez le sentiment du devoir accompli en entendant le doux ronronnement du ventilateur de l’appareil et le cliquetis bien particulier de la photo se positionnant devant l’ampoule, tout en percevant les signes marquant l’intérêt ou l’étonnement des spectateurs pour certaines de vos photos (en général, ce ne sont pas celles auxquelles vous auriez pensé). Mais vous vous délecterez des commentaires, même s’ils en disent souvent plus long sur la personne qui regarde que sur l’objet regardé. Vous avez gagné la partie. Tout le monde conviendra que la séance diapos, disparue brutalement avec l’arrivée du numérique, avait beaucoup d’avantages. Contrairement au smartphone où la photo passe dédaigneusement, rapidement, d’une personne à l’autre, ici tous les spectateurs détaillent en même temps la même image, lumineuse et en grand format. Bel exemple du vivre ensemble. Vous remarquerez d’ailleurs, après la séance, que la projection aura délié les langues et favorisé les échanges.
Vous propose-t-on de recommencer ? Ce sera la preuve du succès. Alors vous essaierez d’aller plus loin dans l’art du revival : vous pourrez proposer une soirée diapos sonorisée cette fois, mais obligatoirement à l’aide de cassettes audio, ces petite boites rectangulaires renfermant une bande magnétique offrant 60 ou 90 minutes de musique, qui ont connu une énorme popularité avant d’être victimes elles aussi de l’émergence du CD. On les pensait disparues à tout jamais. Et, voici qu’on annonce leur retour ! Une PME de Bretagne les fabrique à nouveau, apparemment avec un certain succès. Reste à savoir si vous n’avez pas imprudemment jeté votre baladeur ou votre lecteur de cassettes.
Gérard Goutierre
Voilà une évocation qui ouvre la journée de façon plus jubilatoire qu’on n’osait l’espérer au réveil… Merci à vous!
Cher Gérard, à te lire, je suis certaine que tes soirées diapos sont très réussies. En tout cas, elles font envie.
JE VIENS !!!!! Parole d’une Lilloise
Bravo pour ce récit conduit de main de maître, cher Gérard. Mais qu’est-ce qu’il y a donc sur ces diapos pour qu’elles captivent à ce point le public???
Des diapos, entre la fin des années cinquante, mon père les accumulait de vacances en vacances. Je me souviens, dans les années soixante, on ne trouvait que du 32 ASA, du kodachrome très peu sensible , vues intérieures impossibles et vues extérieures sans soleil à consommer avec modération. Des cartons de diapos que je surveillais à distance, surveillais si bien qu’un jour ma mère passant par Paris me transféra les centaines de diapos, maniéré’ de dire, si tu veux t’en occuper…
Voilà ! Merci Gérard… Tu ne m’en voudras pas si un de ces jours je me met dans ton sillage.
Bravo Gérard, j’ai l’impression que tu as du subir une de nos soirées diapo à l’Escarène non ? Ta description est d’une fidélité remarquable !
C’était notre spécialité mais il y a longtemps…. très longtemps et surtout en famille.
Eric