Un bruit a couru…

… qu’un magasin de parfumerie allait bientôt remplacer la librairie Gibert, place Saint-Michel à Paris, suscitant un début de relatif affolement. C’était un faux bruit. En fait, il devrait bien y avoir début décembre une substitution sur cette place où l’on mange de moins en moins et de moins en moins bien, mais justement, sur le site d’un lieu de restauration, une brasserie, pas une librairie. Cela fait peine. Les fragrances, fussent-elles sublimes ne nourrissent pas son homme. Mais, si on creuse un peu dans l’histoire de ce large espace dû depuis 1855 à Haussmann, on apprend qu’au numéro deux, là où se trouve la librairie Gibert Jeune (1), il y avait un restaurant, « La rôtisserie périgourdine ». Ce « temple des gourmets » ainsi qu’il s’intitulait sur une carte postale de haute époque, proposait notamment de la truffe sous la cendre et on se demande un peu où pareil plat pourrait se déguster aujourd’hui dans Paris.

Il se trouve que la Bibliothèque municipale de Dijon, conserve un menu daté du 7 juillet 1931, lequel nous un donne un aperçu de tout ce que l’on a perdu. Il fallait avoir l’estomac solide pour ingurgiter (en été) à la file et pour quatre-vingt dix francs, un potage aux tomates, une matelote de lamproie aux poireaux, un ventre de veau à la libournaise, un poulet sauté à la Calviac, des fromages assortis, des gâteaux bordelais, des macarons de Saint-Emilion et des fruits assortis. Afin que tout cela coulisse en douceur par le pertuis de l’œsophage des convives,  il convenait de déglutit successivement un Château Haut Gardère 1927, un Château Trottevielle 1925, un Château Lagrave Trigant 1926, un autre Château Trottevielle mais 1924, un Château Caillou 1921 et, pour enfoncer le bouchon, un Grand Armagnac 1893. Si l’on en croit l’image idéalisée, on s’habillait pour l’occasion, les femmes revêtaient leurs meilleurs atours, les hommes portaient la cravate et les serveurs, le nœud papillon. Tout cela se passait dans la salle François Premier où les chanceux disposaient d’une vue sur Notre Dame. On se tenait droit et on y maîtrisait discrètement les renvois inévitables d’un système digestif copieusement gavé.

Ce grand restaurant était tenu par un certain Edouard Rouzier, aussi connu pour avoir publié en 1927, un « Livre d’or de la gastronomie française » que l’on trouve encore à la vente sur les sites spécialisés. La Rôtisserie Périgourdine par ailleurs, n’a pas connu que le traditionnel coup de feu en cuisine puisque lors des combats de la Libération de Paris en 1944, le Musée de la résistance nous apprend qu’au mois d’août de cette année-là, un mardi:  « Un camion allemand roule vers la rue Danton. Du premier étage de la Rôtisserie périgourdine fuse une grenade. Le moteur prend feu. Quelques soldats sautent à terre. Leurs camarades périssent dans l’incendie du véhicule. Les pompiers interviennent et déroulent leur tuyau. Un FFI s’approche du camion, récupère le casque et la mitraillette d’un soldat qu’il recouvre d’une toile de tente. Les FFI ne restent pas inactifs. » Ce n’était pas de toute évidence le bon jour pour les truffes sous la cendre.

Ce qui étonnant, lorsque l’on consulte le registre du commerce, c’est que l’enseigne a continué d’exister après la fermeture du restaurant, toujours à la même adresse, jusqu’à une radiation définitive datée de 2004. L’activité mentionnée était devenue celle de la location de biens immobiliers. Et c’est bien là tout le problème d’ailleurs, qui fait que l’on ne peut plus se nourrir, ni même se loger, puisque la priorité est donnée à d’autres types de commerce. Du côté de la rue Danton toute proche, un restaurant a fermé en raison d’un loyer prohibitif. Moyennant quoi, il n’y a plus qu’un SDF qui campe devant. L’histoire ne va pas dans le bon sens et le ventre sonne creux comme résonne aussi hélas le glas de la gastronomie traditionnelle.

PHB

(1) Joseph Gibert a commencé comme bouquiniste sur les quais

 

Source image: coll. PHB
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3 réponses à Un bruit a couru…

  1. Alain REBY dit :

    Bonjour Philippe Bonnet,
    J’ai connu la Rotisserie Périgourdine il y a une quarantaine d’années et plus, c’était assez fabuleux mais je n’ai pas le souvenir de ces repas gargantuesques, peut-être était-ce avant cette période que j’ai connu (années 1970…)
    En tout cas, j’en ai gardé d’excellents souvenirs.
    Bien à vous
    A.R

  2. vera dupuis dit :

    Cher Philippe Bonnet, Dijon possède l’une de plus belles collection de Menus, plus de 6000, Lille environs 3000, j’aime me plonger dans ces fonds lié à l’histoire d’un lieu, d’une ville, derrière ces menus se cachent souvent des évènements historique, et retrouver comme vous venez le faire dans cette chronique, un restaurant( frequenté par Alain Reby par exemple) redonne vie au lieu et à son actuel occupant; on ne regarde plus comme avant cette devanture de livres…il y a eu une vie avant

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