À Lille, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les artistes

Le catalogue reproduit en couverture un autoportrait de Frida Kahlo. Mais ça aurait pu tout aussi bien être « La Joconde » de Leonardo, « La Jeune Fille à la perle » de Vermeer ou « L’Olympia » de Manet. Parce que le thème de l’exposition présenté par le palais des Beaux Arts de Lille, en collaboration avec la Réunion des Musées nationaux , « Le rêve d’être artiste » est le plus vaste et le plus vague qui soit, le plus déroutant et le plus passionnant aussi. Parler de la condition de l’artiste dans un musée est une périlleuse mise en abyme. La question est moins celle du choix que celle du trop plein, d’autant que le musée nordiste, contrairement au Louvre qui propose une exposition sur le même thème («Figure d’artiste» dans la Petite Galerie, jusqu’en juin 2020) ne se limite pas dans la temps. Ici l’exposition va du Moyen Âge jusqu’à nos jours, avec 120 œuvres, et la plus grande diversité d’expressions, de sujets et de techniques.

Depuis que la notion de “l’artiste“ est apparue, le différenciant de l’artisan – en gros depuis la fin du Moyen Âge – son statut social, sa fonction, sa réputation ont suscité de très nombreux commentaires souvent de la part d’écrivains (Baudelaire, Apollinaire…) et plus récemment, de sociologues ou anthropologues. L’ exposition se présente comme un parcours à thèmes, chacun illustré d’œuvres très diverses. On y aborde donc la question de la signature («Je signe donc je suis») ; du rapport de l’artiste avec les mécènes ou les marchands ; du mythe de l’artiste, le rapprochant parfois d’un dieu ; de la maîtrise de son image ; de ses conditions de vie – depuis la vie de bohème jusqu’à celle du businessman – sans oublier ce qui est peut-être la partie la plus réjouissante du parcours, l’autodérision.

L’exposition se termine (mais ne se conclut pas) avec la célèbre publicité télévisuelle pour le chocolat Lanvin (1970) grâce à laquelle Salvador Dali a publiquement libéré et décomplexé les relations entre l’art et l’ argent. Le parcours met le visiteur en présence d’œuvres parfois peu connues de Dürer, Ribera, Boilly, Seurat, Fantin-Latour, Marie Laurencin, et d’œuvres relativement récentes, dont certaines des enfants terribles du XXe siècle comme Banksy, Andy Warhol ou Jeff Koons.

Il y a donc beaucoup à voir grâce à cette présentation d’œuvres venues d’horizons différents. Beaucoup à voir et beaucoup à lire : les cartels et les commentaires, très pédagogiques, fournissent des informations, expliquent les enjeux, posent les bonnes questions. L’expo a le bon goût d’échapper au vocabulaire abscons qui caractérise parfois certains présentations muséales, principalement contemporaines. Il faudra intégrer ce temps de lecture au temps de la visite. Mais l’on pourra sans crainte se rendre en famille au musée, sans risquer les reproches à la sortie.

Puisque l’on est sur place, il sera intéressant de prolonger la visite en se rendant au musée de l’hospice Comtesse, fleuron historique du vieux-Lille. Ici la question du statut de l’artiste prend une tout autre dimension, puisqu’y sont réunis des créateurs n’ayant reçu aucune formation artistique. Ils appartiennent à ce qu’on appelle en France l’art brut («outsider» dans les autres pays). Ces artistes, forcément et fondamentalement originaux, sont présentés par la fondation belge Paul Duhem.

Pour la plupart, ils ont été accueillis au centre pour personnes en situation de handicap La Pommeraie, près de Mons en Belgique. Chaque œuvre a ses caractéristiques propres. C’est l’incroyable tapisserie de Jacques Trovic, ce sont les murs de briques rouges de Van Baelens, ce sont les maisons d’une “cité idéale“ de Louis Poulain (ci-contre), ce sont encore les fascinants portraits de Duhem, qui ne commença son travail artistique qu’à l’âge de 70 ans, et dont la fondation porte le nom. Une belle scénographie rend hommage aux « itinéraires singuliers » de ces autodidactes pour lesquels l’art ne se distingue pas de la vie, et parfois même de la survie.

Gérard Goutierre

Illustration d’ouverture: “Art, misère, désespoir et folie » de Jules Blin (1880) ©Musée des Beaux Arts de Dijon/ François Jay

“Le rêve d’être artiste“ :
Palais des Beaux Arts, place de la République, 59000 Lille.
Jusqu’au 6 janvier.
“ Itinéraires singuliers “ :
Hospice Comtesse, 32 rue de la Monnaie, 59 000 Lille
Jusqu’au 19 janvier .

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Une réponse à À Lille, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les artistes

  1. Yves Brocard dit :

    Bravo pour ces visites, qu’on pourrait qualifier d' »hors les murs », les murs muséaux parisiens bien évidemment. Qui montrent que les villes de province, y compris du Nord de la France, ont des choses très intéressantes à dire, hors des sujets juteux et sans risque que rabâchent les musées parisiens : Picasso, Matisse, Rodin, les impressionnistes de tous poils, etc, etc.
    Si l’insécurité (non-fiabilité et grèves surprise) des « service » dits « publiques » (SNCF et autre RATP) nous en laisse l’opportunité, on y courre. Avec en prime La Piscine de Roubaix (miam-miam) et le musée Matisse du Cateau-Cambrésis, qui ont, eux aussi (je n’ai pas vérifié leur actualité), très souvent des expositions originales et passionnantes.

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