Jean-Pierre Marielle s’est au moins exprimé deux fois de la sorte. Une fois dans la vraie vie ainsi que nous le révèle une biographie de l’acteur qui vient de sortir, et une fois encore dans « Les grands ducs » (Patrice Leconte, 1996) où un Marielle exaspéré demande à un metteur en scène de boulevard la raison pour laquelle il devrait sourire. L’homme parti au printemps rejoindre ses camarades dans un ailleurs désespérément inconnaissable avait également sa part d’inconnu. Et c’est tout le mérite de cet ouvrage que nous éclairer sur une personnalité complexe ayant connu le succès sur le tard et avouant qu’il lui était arrivé dans sa vie professionnelle de « se laisser aller un peu et de tourner dans des idioties, souvent des rôles de sauteur de canapé, des dragueurs de troisième division ».
Surtout il fallait bien vivre. Cette biographie signée Stéphane Koechlin, nous raconte comment à la sortie du Conservatoire, toute une petite bande composée entre autres de Jean Rochefort, de Bruno Cremer ou encore de Guy Bedos couraient le cachet dans des pièces ou des films que l’histoire a bien fait d’oublier. Il fallait en outre combler les temps morts. C’est ainsi qu’à l’orée des années soixante, Marielle est allé voir son copain Belmondo, « son presque frère » sur l’île de Porquerolles où Jean-Luc Godard tournait « Pierrot le fou ». Tout au long de sa vie Jean-Paul Belmondo (l’un des rares survivants de cette fratrie) se démènera pour faire travailler ses amis. Mais à Porquerolles, Godard regardait à peine la grande carcasse de Marielle et, interrogé par Koechlin, Belmondo indiquera pour la rédaction du livre qu’il s’était, pour une fois, « bien gardé » de faire une recommandation à Godard.
En revanche sur les tournages, les deux comédiens savaient rigoler à l’excès, ce qui fera écrire à un Marcel Ophuls pas content, pour la réalisation de « Peau de banane » en 1963: « je voudrais quand même faire remarquer que ce sont les acteurs français qui pensent qu’il faut continuellement se marrer quand on tourne une comédie, ce n’est pas du tout le cas à Hollywood ». Le livre de Koechlin abonde en détails et anecdotes que les non-spécialistes ignorent. Son portrait de Marielle est soit direct par des descriptions assez justes de l’homme et de son caractère, soit indirect via des ambiances et des contextes qui donnent au Marquis de Pontcallec (« Que la fête commence », Bertrand Tavernier, 1975), une ombre portée non moins instructive.
La reconnaissance sera tardive, mais notamment grâce à Tavernier dans « Que la fête commence », Marielle finira par devenir un grand acteur qui exigeait souvent plusieurs prises alors que la première était bonne, laissant au réalisateur le luxe de l’embarras du choix. Ses prestations de stentor, son jeu particulièrement inspiré, ont apporté une consolidation étonnante à certains films quand ils n’en étaient pas la clé de voûte.
Dans « Un moment d’égarement », « Coup de torchon » (ci-contre), « Tenue de Soirée » ou encore dans l’estimable « Les mois d’avril sont meurtriers », Marielle donnait enfin toute la mesure (et non la démesure) de son talent. Il pouvait s’accomplir enfin, se venger quelque peu de ses années de galère, à travers des œuvres que l’histoire cette fois retiendra peut-être tels « Tous les matins du monde », « Le parfum d’Yvonne », ou encore « Les Milles ». Dans la gravité comme dans le comique, Marielle pouvait enfin se délester de son passé de « sauteur de canapé ». Lorsqu’il campait un flic dévasté par ses tourments intérieurs, un marquis rebelle ou un grand con franchouillard, il était dans tous les cas magistral.
Koechlin a choisi plusieurs citations en préambule de son livre. L’une d’Agnès Soral qui a confié à l’auteur avec une certaine pertinence « qu’une grossièreté chez lui devient un joli mot ». Et l’auteur extirpe aussi du « Parfum d’Yvonne » cette saillie: « Ah nom de Dieu de cravate de merde, il y a des saisons cher monsieur où la soie sauvage n’en fait qu’à sa tête ». Le film était tiré d’un roman de Modiano intitulé « Villa triste ». Les producteurs apprend-on, n’avaient pas voulu du mot « triste », pas assez vendeur sans doute. Patrice Leconte avait alors choisi « Le parfum d’Yvonne » car il n’allait quand même pas mettre « Villa rigolote ».
Jean-Pierre Marielle repose dans le village familial bourguignon de Précy-le-Sec où il aimait fréquemment retourner. Son nom qui continue d’apparaître lors de rediffusions est venu cette année allonger d’un cran la liste nécrologique d’une saison bien révolue. Lui-même pouvait compter les survivants lors des enterrements. Depuis son départ, une main suffit pour faire le compte.
PHB
« Jean-Pierre Marielle, le lyrique et le baroque », Stéphane Koechlin, éditions du Rocher, 22,50 euros
PS: Koechlin nous enseigne également que ce grand amateur de jazz allait parfois se réfugier au café de Flore, un recueil de Guillaume Apollinaire dans la poche. Marielle aimait le poète au point d’avoir prêté sa voix (un tantinet lugubre) à un disque.
Godard vs Marielle…
Bonne remarque, Philippe…
Si on parcourt la filmographie de JPM : pas un Truffaut, pas un Chabrol, pas un Pialat, Pas un Doillon, pas un Jacquot, pas un Téchiné…
Pourquoi les cinéastes de la nouvelle vague et leurs émules sont-ils passés à côté de ce comédien ? On l’aurait pourtant bien vu chez Chabrol…
J’avoue que je suis sans réponses…
Peur d’être « mangés » par l’ogre Marielle ? Incompréhension devant son humour (il faut dire que Godard et Trufffaut, ça rigole pas tant que ça) ?
C’est vrai que Noiret et Rochefort ça n’a pas été leur fort non plus.
Moralité : Marielle acteur du cinéma « commercial », du cinéma « bourgeois » de Sautet-Tavernier…
Ce n’est pas grave. Mieux vaut être marchand de parapluie dans « Les galettes de Pont-Aven » que sinistre chez Pialat-Garrel…