Dans son introduction au recueil « Les fleurs du mal », Guillaume Apollinaire commet un intéressant parallèle avec Laclos, qui publia les « Liaisons dangereuses » alors qu’il était encore officier d’artillerie. Apollinaire qui fut également artilleur estime en effet que Laclos a tenté d’appliquer aux mœurs les lois de la triangulation propres au tir. Et que c’est à partir des « mesures angulaires calculées par Laclos » que « naquit l’esprit littéraire moderne » dont se serait inspiré Baudelaire.
Plus largement, Apollinaire juge que le deuxième père spirituel du créateur des « Fleurs du mal » est l’américain Edgar Poe, le « merveilleux ivrogne de Baltimore », dont il tira le « pus spiritualiste ». Des deux auteurs, Baudelaire est selon lui « le fils aveugle et fou ». Apollinaire juge enfin qu’il est « bon de planter très haut des poètes drapeaux comme Baudelaire », quitte « à les agiter de temps en temps, afin d’ameuter le petit nombre des esclaves encore frémissants ». Et c’est pourquoi ce jour nous publions « Le serpent qui danse », admirable texte, bien plus tard mis en musique et chanté par le regretté Gainsbourg (1) lequel en avait bien compris toute la suavité lascive, toute la sensualité venimeuse.
Le serpent qui danse
« Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !
Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,
Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.
Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d’amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L’or avec le fer.
À te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton.
Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,
Et ton corps se penche et s’allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l’eau.
Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l’eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon cœur ! »
Texte recopié de l’édition édité dans la collection « Les maîtres de l’amour » et préfacé par Guillaume Apollinaire en 1917
Cinq années avant Gainsbourg, Léo Ferré mit aussi en musique « Le serpent qui danse », dans un climat que je trouve en totale adéquation avec le poète, accompagné par les volutes ophidiennes d’un alto sax…
Vous avez bien fait de le mentionner, merci. PHB
Apollinaire n’a pas été officier d’artillerie, mais d’infanterie…
Cher Victor Martin-Schmets, je n’ai pas dit qu’il était officier, juste artilleur (au 38e régiment), l’infanterie ce sera plus tard, au front. Souvenez-vous de sa jolie phrase: « J’ai tant aimé les arts que je suis artilleur » ou encore son drolatique « l‘artillerie est l’art de mesurer les angles et l’équitation de bien serrer les sangles ». Bien à vous. PHB
Grand merci pour ce poème.
Internet est pour moi quasi muet quant à l’introduction de G. Apollinaire. En dehors de l’ouvrage lui-même, savez-vous où peut-on la lire ?
Bien à vous,
BMF
Cher Monsieur,
Le document autographe est sur Gallica (le site de la BnF) mais il est difficile à lire. En dehors de l’ouvrage, je ne vois pas, mais je vous adresse les 4 pages sur votre boîte mail. Bien à vous. PHB
Un très grand merci à vous.
Bien amicalement,
BMF