À 15h pile, alors qu’il présentait hier lundi sa série de photos réalisées aux armées, Raymond Depardon a été prévenu que c’était le moment de consacrer une minute de silence à l’égard de Jacques Chirac. De même que les journalistes présents, le photographe s’est donc interrompu et en a profité pour prendre en photo un de ses clichés accrochés jusqu’au 30 janvier au musée du Service de santé des armées. Dans le même temps une photographe présente a saisi la scène et il s’en est fallu de peu qu’elle-même ne fût saisie par un autre objectif avec tous les risques admis de la réaction en chaîne.
À 77 ans, Raymond Depardon fait montre d’une rafraîchissante modestie lorsqu’il évoque son travail et plus précisément celui qu’il a effectué durant son service militaire. Son statut de reporter-photographe lui a en effet permis d’échapper au lot commun des conscrits avec la permission officielle d’immortaliser la vie militaire. Il est nommé brigadier à TAM, un magazine dont l’acronyme signifie Terre, Air, Mer. L’armée a eu le nez creux. Car son travail est tout à fait remarquable. Pour le magazine TAM, Depardon se balade de 1962 à 1963 dans la France des casernes, des bateaux et aérodromes de la grande muette. Il dispose pour ce faire d’un appareil qui est devenu une rareté, un Rolleiflex grand angle. Les tirages étaient faits par l’armée avec un professionnalisme froid qui sied finalement au résultat selon l’avis de l’auteur. Depuis leur parution dans le magazine TAM, les images n’étaient plus jamais sorties ce qui donne un certain prix à cette exposition. Depardon peine naturellement 58 ans plus tard, à se souvenir avec précision du contexte de chaque cliché, lesquels sont heureusement légendés. Juste avant cet épisode, il travaillait comme pigiste pour l’agence Dalmas.
Il y a par exemple cette photo très séduisante représentant à Aix-en-Provence, un enfant de troupe marchant à côté d’un officier. Ils font face à l’objectif et sont à contre-jour. Après toutes ces années, il ne se souvient plus s’il s’agit d’une mise en scène, d’un montage ou d’un instant décisif cher à Cartier-Bresson. Aujourd’hui il préfère opter pour la première hypothèse écartant celle du coup de génie. Certains de ses confrères sont moins modestes.
De même lorsqu’il embarque dans un avion destiné à larguer au large de Calvi (Corse) des parachutistes du 11e choc. Il raconte qu’il s’était mis face à la porte ouverte sur le vide avec son appareil dans les mains, lequel ne contenait qu’un rouleau de 12 prises. On voit un homme prêt à s’élancer dans le vide et tout en bas du cadre la main du soldat qui l’a précédé. Depardon en convient c’est un coup de bol, là où d’autres encore une fois, auraient pu se vanter d’avoir capté une belle simultanéité d’action. Mais, quitte à le faire rougir, disons qu’il en était quand même un peu responsable puisqu’il se tenait à l’affût.
Dans un article qu’il a écrit pour la revue TAM, il donnait ce conseil: « Apprenez à diriger infailliblement votre œil vers la photo à faire, comme un chasseur à la recherche de sa proie; apprenez à faire de l’objectif de votre appareil le prolongement instantané de votre œil exercé, en un mot, apprenez à photographier comme vous respirez ». C’est sans doute ce dernier point qui est le plus important et qui transparaît dans ce travail de jeunesse où il saisit aussi bien le général Massu que le biffin de base ou l’enfant de troupe.
Un jour alors qu’il se trouvait sur le navire-escorteur Le Picard, du côté de Toulon, un photographe inconnu a attrapé l’image de celui qui allait devenir célèbre jusqu’à être sollicité par François Hollande pour son portrait officiel de président. Il est tout jeune, debout parmi les embruns. Il a son appareil en mains, il semble aux aguets et de toute évidence au meilleur endroit pour respirer et photographier sous oxygène. L’ancien fils de fermiers a depuis taillé sa route. Toujours le boîtier à la main, apparemment.
PHB
« Depardon photographe militaire », Musée du Service de santé des armées, école du Val-de-grâce, 1 place Alphonse Laveran 75005 Paris. Jusqu’au 30 janvier 2020.
Pour une fois, pas un commentaire mais un petit conseil : vous trouverez sur You Tube un petit court métrage de 10 minutes dans lequel Jean Rouch fait le portrait de Raymond Depardon. On est en 1983, il a donc à peu près 40 ans et vient de tourner Faits Divers si ma mémoire est encore bonne…
Ah ! tout de même : merci, Philippe, pour l’article… Comme toujours, concis et précis !
Merci Philippe,
Une belle exposition pour mon prochain séjour à Paris.
Bouton
Merci ; encore un lieu à découvrir …en plus de l’attirante expo