Par volonté de dissimulation voilà un homme qui prend sa voiture, ce matin-là encore, pour faire comme si il allait travailler. Car il a été conduit à démissionner quelques jours auparavant. La comédie qu’il joue lui apparaît absurde. Au volant de sa Porsche, Frank décide alors de faire demi-tour et de rentrer chez lui. Il décide d’affronter progressivement sa famille et notamment ses grands enfants, très regardants quant à eux sur la pérennité de leur train de vie. C’est un homme pour le moins économe de sa parole qui va pourtant devoir parler. Pour retrouver du boulot. Pour dire la vérité. Il est le personnage principal du film « Ceux qui travaillent », un long métrage signé Antoine Russbach.
Ce type d’histoire a déjà été traité au cinéma, ce qui fait que le réalisateur s’est efforcé, avec succès, d’emprunter une voie originale, d’éviter les poncifs. D’abord avec son personnage, un taiseux massif, qui consacre tout son temps à faire en sorte que des bateaux chargés de la marchandise prévue, arrivent en temps et en heure à leur destination. Chaque heure de retard dans ce domaine coûte très cher. Ce qui fait qu’un jour il prend la mauvaise décision. Celle de faire jeter à la mer un clandestin. Il a fait ses calculs. Distribuer une prime à l’équipage pour ce faire, coûtera moins cher à la compagnie, qu’un retour au point de départ permettant un débarquement légal. Quelques heures plus tard, il reçoit un texto ainsi libellé: « done ». Et c’est sur cette funeste erreur, du moins le croit-il, que ses employeurs informés lui demanderont de mettre ses affaires dans un carton et de sortir sous les yeux pudiquement baissés de ses collègues.
Ce n’est rien de dire qu’Olivier Gourmet excelle dans ce rôle de premier plan. Au propre comme au figuré, il charpente littéralement le film. Il est ce Frank en recherche d’emploi, qui doit passer comme tout le monde, un bilan de compétences. Il est cet homme qui contacte ses confrères afin de retrouver une situation. Il n’est plus celui qui remplit avec une efficacité cynique ce pour quoi il est payé, mais celui qui demande, celui qui sollicite. Frank découvre la réalité de la sortie de piste et même du circuit. Il ne compte plus alors que sur sa famille mais elle, table toujours sur lui afin de profiter d’une belle existence, du confort d’une belle villa suisse avec sa vue sur le lac et sa piscine. Il apprend sur le tas le désespoir, la nécessité d’être poli, l’obligation de donner le change.
Ce qu’il oublie c’est sa valeur. Celle qui consiste à accomplir sans états d’âme des missions qui se déroulent bien loin, au milieu des océans, là où le droit humanitaire croise rarement la route des juges et des avocats. Ce qui fait qu’il va, si l’on peut dire, être repêché par une société concurrente, afin d’effectuer de l’affrètement interdit vers la Syrie. Sûrement une des scènes les plus fortes du film. Car il commence par refuser. On lui propose une prime de bienvenue de 50.000 francs (suisses). Puis 60.000. Mais, peut-être avec le souvenir du clandestin durement balancé à la flotte sur son ordre, il continue de décliner. Jusqu’à ce qu’on lui demande son prix. Et il répond après une longue hésitation: « 120.000″. Il a son contrat. Il va réintégrer sa vie et son train de vie.
« Ceux qui travaillent » est un film au fond assez moderne dans la mesure où il met en scène une moralité du travail de plus en plus dévaluée. Celle qui va de la livraison en vélo au transports de marchandises par containers. C’est ce que Frank explique à un moment à sa plus jeune fille. La société réclame des bananes, du poisson en bâtons ou des sticks de déodorants. Il faut bien les acheminer. Et personne n’a envie de connaître les conditions de la livraison. Olivier Gourmet incarne avec maestria, un acteur de cette réalité brutale.
PHB