Le musée du Quai Branly-Jacques Chirac est devenu au fil des ans une sorte de trésor public. On n’y collecte pas les impôts mais des artefacts venus de tous les continents non européens. L’accroissement des collections par des acquisitions a débuté il y a 20 ans. Pas moins de 77.000 pièces sont venues enrichir un vaste agrégat patrimonial dont les origines remontent au 16e siècle. Mais ce sont les emplettes récentes qui font aujourd’hui l’objet d’une exposition qui se terminera le 26 janvier. Et ses instigateurs ont eu l’urbanité d’en commencer le parcours par Guillaume Apollinaire, qui professait en 1909 qu’en la matière, « le Louvre devrait accueillir certains chefs-d’œuvres dont l’aspect exotique n’est pas moins émouvant que celui des beaux spécimens de la statuaire occidentale ». La suggestion a été retenue.
Un élément de la collection d’Apollinaire (ci-dessus) figure d’ailleurs en bonne place dans la scénographie. Et un film raconte que c’est bien le poète qui a ouvert la voie à tout un aréopage de « passeurs » dans ce domaine, comme Félix Fénéon, André Malraux ou plus récemment Jacques Kerchache. En ce sens, la création du Musée du Quai Branly est moins un aboutissement que la continuation d’une pensée profonde à l’égard de l’humanité, de son histoire, de ses balises et de sa géographie. Comme le musée Guimet, il concourt à nous abstraire de la médiocrité des débats quotidiens. Franchir le seuil d’un de ces deux établissements confère un soulagement immédiat. L’ambition culturelle, une indéniable hauteur de vue, voilà ce qui manque à notre bien-être.
Nous sommes ici face à une sélection de 500 œuvres, soit 154 fois moins que la totalité des emplettes effectuées. En découle une certaine frustration, car pour étaler une variété représentative de ses acquisitions, le musée a dû faire des choix. Qui nous confondent parfois. L’on croit par exemple avoir affaire à une magnifique robe mortuaire ancienne et, à la lecture de l’étiquette explicative, on réalise qu’il s’agit en fait d’un costume de reine des « Mardi Gras Indians » (voir en bas de la page) réalisé par Rukiya Brown, une artiste née en 1952. L’impact sensoriel est garanti quand on y fait face brusquement dans le cheminement scénographique. Et c’est précisément un achat du musée.
La démonstration de la pertinence des apports est ainsi faite. Et elle se poursuit magistralement, par exemple à travers ces magnifiques spatules rituelles utilisées par les chamanes amérindiens afin de faire vomir dans un but de purification. Fabriquées entre le 14e et 16e siècles, elles sont stupéfiantes de modernité intemporelle. L’une ressemble à un serpent, une autre à un sabre finement courbé. Quelques centaines d’années plus tard, elles suscitent notre admiration, en dépit de ce à quoi elles étaient destinées.
Des carnets d’explorateurs à la photographie africaine moderne, d’une statuette féminine impressionnante remontant à plus de vingt siècles, à ces fameux trophées acquis par Apollinaire et ses épigones, la fraîcheur de cette exposition tient beaucoup à l’éventail des thématiques proposées.
Le musée du quai Branly-Jacques Chirac revendique sa vivacité en s’inscrivant dans la dilatation exponentielle du temps et des époques, entretenant en cela un dialogue singulièrement convaincant entre les cultures. C’est ainsi qu’un musée peut peiner -ce qui est le cas- à se définir. On peut se référer à ce propos à une tribune acide de Michel Guerrin dans le Monde du 6 septembre, racontant comment « les fonctionnaires des grandes organisations internationales » ont réussi depuis Kyoto (Japon) à se mettre d’accord sur la définition du mot musée. La formule retenue, actuellement en délibéré, est la suivante: « Les musées sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs (…), ils sont participatifs et transparents et travaillent… afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine, à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire« . Il fallait bien, souligne-t-il, 45.000 professionnels issus de 20.000 musées dans 141 pays, pour accoucher d’un tel charabia. Dans l’antiquité, le musée désignait simplement le « temple des muses ». Après il est devenu un lieu de conservation, de protection, d’exposition. De nos jours, semble-t-il, ça se complique.
PHB
« 20 ans, musée du Quai Branly-Jacques Chirac, jusqu’au 26 janvier 2020
Cette nouvelle définition du musée proposée par l’ICOM à Kyoto n’a finalement pas été votée.