Monté à Paris pour des études de journalisme, le jeune Louis Monier, alors âgé d’une vingtaine d’années, se trouve avec l’un de ses amis, journaliste au Figaro, à la terrasse du Select, à Montparnasse. « Regarde là-bas, lui dit son ami, c’est Romain Gary ». Avec l’enthousiasme et le culot de la jeunesse, Louis se lève de sa chaise et fonce sur l’écrivain. Il lui demande la possibilité de le photographier et de l’interviewer. Ce dernier accepte. « Je vois bien que vous êtes un vrai professionnel » ajoute-t-il, en lui donnant rendez-vous pour le lendemain. Proposée à une grande revue littéraire, la photo sera immédiatement publiée.
Ainsi commence l’étonnante aventure professionnelle de Louis Monier, l’un des grands portraitistes français du vingtième siècle, auteur de plus d’un million de clichés, essentiellement des écrivains ou des artistes. Après cinquante ans de métier, il est à la tête d’incroyables archives réunissant la plupart des grands penseurs ou créateurs qui ont marqué le siècle. Né à Montélimar en 1943, il commence des études de journalisme à Paris tout en étudiant la photographie de façon autodidacte mais avec passion. Très rapidement il se fait une place dans le milieu des artistes et des écrivains.
Il a quelque chose que les autres n’ont pas – ou pas souvent : il a lu. Énormément. Giono, Bazin, Char, parmi d’autres. « Et surtout les poètes » ajoute-t-il. Dans la famille, le livre était roi. « J’avais le droit de lire tout ce que je voulais ». Il ne s’en prive pas. À dix ans, il dévore « Le Grand Meaulnes » . « Je n’ai peut être pas compris tout de suite l’importance de ce roman, mais je m’en souviens très bien ». À Paris, les écrivains et les éditeurs le connaissent. Il devient notamment le photographe régulier des célèbres « Apostrophes » de Bernard Pivot. Sa curiosité pour les arts est insatiable : « À part le football, tout m’intéresse », déclare-t-il.
La question brûle les lèvres : après avoir rencontré autant d’écrivains, lesquels lui ont fait la plus grande impression ? Il ne doit pas réfléchir longtemps. Il cite Gary (bien sûr..), Malraux, Beckett, Yourcenar, Umberto Eco, Florence Aubenas, Cheng… sans compter les géants d’autres disciplines comme le cinéaste Truffaut, le chef Gian Carlo Giuliani ou la chanteuse Amalia Rodrigues.
Le secret de ce portraitiste dont les photos traduisent souvent l’intime du personnage ? Sans doute la connaissance intime de l’œuvre de l’écrivain, ajoutée à un sens inné du contact. Pourtant « Il n’y a pas de recette. L’important c’est de s’intéresser à la personne. Je parle de tout et de rien avec elle, je plaisante parfois, mais surtout je lui parle de ses livres, que j’ai lus. Quelquefois la bonne photo, on la fait tout de suite.. mais on continue quand même. il ne faudrait pas que l’écrivain se froisse en pensant qu’il n’est pas intéressant ! ». Son art lui a permis d’entretenir des relations proches avec la plupart de ses « modèles », dont beaucoup sont devenus ses amis.
Au milieu de cette somme iconographique imposante (environ dix-huit mille écrivains ou artistes photographiés, le plus souvent en noir et blanc, au Leica et en argentique), un document de 1977 est aujourd’hui considéré comme une photo « culte ». Il s’agit de celle où, à la demande de l’éditeur Pierre Belfond, il parvint à réunir les trois intellectuels roumains les plus connus au monde : Emil Cioran, le moraliste du néant, Eugène Ionesco, le plaisantin de l’absurde, et Mircea Eliade, l’historien des religions. Louis Monier connaissait chacun d’entre eux, mais entre les trois hommes, l’entente n’était pas forcément des plus cordiales. La photo fut prise sur la petite place Furstenberg, à Saint-Germain-des-Prés, à deux pas du musée Delacroix. Elle devint rapidement célèbre et valut à son auteur de devenir une personnalité en Roumanie où des prix lui furent décernés.
Plus près de nous, si l’on se rend à la Villa Marguerite Yourcenar, en haut du Mont Noir, au cœur des Flandres françaises, on découvrira une importante série de portraits d’écrivains. On sait que l’ancienne villégiature d’été de la petite Marguerite qui s’appelait encore de Crayencour est devenue une résidence d’écrivains. Depuis l’ouverture, il y a une vingtaine d’années, Louis Monier a tiré le portrait de tous ceux qui y ont séjourné. C’est là par exemple qu’il fit la connaissance de François Cheng, l’un des écrivains vivants qu’il admire le plus. Louis Monier y présente actuellement une nouvelle série de portraits d’écrivains. Particularité: ils sont tous en train de rire. C’est en consultant ses archives («Je ne jette rien» précise-t-il) qu’il eut l’idée de cette présentation… réjouissante. Parce que le rire n’est pas innocent : « Quelqu’un qui rit se dévoile. Il ne cache rien » dit-il.
Gérard Goutierre
« Éclats de rire » à la Villa Mont Noir, 59270 Saint Jans Cappel,
ouvert le dimanche de 14 h à 18, ou sur rendez-vous (03 59 73 48 90)
À consulter : « Création j’écris ton nom »
(éditions Vents de sable), choix très abondant
des photographies de Louis Monier
Merci de m’avoir fait connaître ce photographe. Quel beau parcours dans l’intimité des écrivains que celui d’un homme d’images mais aussi de lettres. Dommage que Louis Monier n’ait pas été aussi célèbre que ses homologues photographes de mode. Il doit avoir mille et une anecdotes à raconter, en complément de ses photos. Si l’expo descend dans le sud, promis j’y vais !
En effet cette exposition devrait devenir itinérante lors des annuelles Journées des Ecrivains – comme par exemple à La Baule.
Des artistes impliqués et investis de plus que leur mission , ça devient rare . En tout cas , c’est gagné !!! Ca donne envie d’y aller !…mais c’est jusque quand??
Bonne question.. (qui aurait du avoir sa réponse dans l’article !). C’est
jusqu’au 15 décembre 2019.