Cette exposition ne va pas bouleverser l’idée que nous pouvons déjà avoir de la peinture anglaise de l’époque. Peut-être à cause de l’exiguïté des lieux, ou peut-être parce que tous les tableaux viennent de la Tate Britain de Londres, limitant forcément le choix.
Grande impression en arrivant : nous sommes face à une longue galerie faite de deux murs d’un beau rouge, où de très imposantes toiles se font face. Un peu comme si on pénétrait dans quelque demeure royale ou seigneuriale de l’époque. « Reynolds et Gainsborough, face à face », nous dit-on, mais curieusement, on s’aperçoit rapidement qu’en réalité les tableaux des deux peintres se succèdent sur les murs et rarement en face à face.
Bien entendu, il est question de la rivalité symbolique entre les deux plus grands portraitistes de cet âge d’or, et la confrontation s’avère judicieuse. Tous deux bénéficiaient de commandes royales, la critique les opposait, ils en jouaient, mais il suffit d’un coup d’œil pour saisir que nous sommes face à deux tempéraments bien différents.
Prenons par exemple « L’honorable Miss Monckton » (1777-1778), intellectuelle anticonformiste régnant sur un célèbre salon littéraire. Joshua Reynolds la représente assise sur un banc de pierre, sur fond de grands arbres, appuyée du coude à une colonne, en robe de soie blanche et étole de soie bleue, son chien blanc et roux à ses pieds. Elle sert d’affiche à l’exposition, car le peintre lui a donné un regard direct et malicieux et une pose inattendue de la main, manière de traduire sa personnalité originale.
Comparons maintenant avec « Lady Bate-Dudley » (vers 1787, détail ci-contre), épouse du grand ami et défenseur de Thomas Gainsborough. La pose est moins originale : elle se tient debout sur un arrière-fond de feuillage, le visage tourné vers la gauche, en robe de soie bleue et étole blanche, le cheveu vaporeux, ravissante et l’air rêveur. Mais quels effets de lumière admirables sur l’étole et le visage, quels frémissements dans les feuillages, quel pinceau sensuel et nerveux, procédant par grandes touches !
Pour moi toute la différence entre les deux artistes est là : l’un recherche l’effet, l’autre sent profondément. Ce qui se vérifie sur les autres toiles, et jusque dans ce petit portrait de « Gainsborough Dupont », un peu plus loin sur la gauche, un des plus beaux portraits de jeune homme qu’on puisse imaginer. Il est d’une telle beauté qu’on veut tout savoir de lui, et voici ce qu’on nous en dit : « À la différence de Reynolds, Gainsborough travaille de manière solitaire. Son seul véritable élève et assistant est son neveu […]. En dépit de ses dimensions modestes, ce petit tableau revêt une importance particulière. Gainsborough, malade et mourant, choisit de le placer dans sa chambre à la vue des visiteurs. À lui seul, il témoigne des principes essentiels qui ont guidé sa pratique : une référence appuyée à Van Dyck et une manière de peindre qui s’apparente à l’ébauche. »
Gainsborough avait beau dire de son rival « Damn him ! how various he is ! », on pourrait bien préférer à tous ces portraits pourtant somptueux, plus grands que nature, atteignant quelque 2,50 mètres sur 1,50 mètres, cette petite toile de 45,5 sur 37, 5 cm….
Autant dire avec Gérard de Nerval « Il est un air pour qui je donnerais tout Rossini, tout Mozart et tout Weber… »
Et autant dire que cette première salle est tout simplement le clou de l’exposition, car ce qui suit est plus…terre à terre.
On nous a d’ailleurs préalablement prévenus, dès le début, que l’exposition se situe en quelque sorte sous les auspices du long règne du roi George III, s’étendant de 1760 à 1820, période de stabilité, de transformation de la société, d’essor artistique, et… d’invention de la société de consommation (sic !). Après tant de fastes, nous voilà donc redescendus sur terre, avec des « Portraits, images d’une société prospère », puis « Dynasties et familles, images d’un entre soi ».
Rien de très exaltant, et autant Gainsborough tout particulièrement éprouvait une grande admiration envers Van Dyck (mort à Londres en 1641) et l’urgence de se réinventer par rapport à lui, autant ces peintres d’intérieur anglais des années 1740 à 1760 ont du mal à atteindre le niveau des grands ancêtres flamands ou hollandais.
Par contre il est un domaine où l’âme anglaise excelle, celui du « Spectacle de la nature », qui s’épanouit à cette époque. Après le bel « Hunter gris » de George Stubbs, nous en arrivons aux paysages avec deux ou trois beaux John Constable, et un merveilleux paysage impressionniste d’arbres avec ruines de Gainsborough, « qui exécutait des portraits par nécessité mais peignait des paysages par plaisir ».
Et puis nous tombons sur un Turner de 1805, « La Tamise près de Walton Bridges », Turner dont nous savons tout maintenant depuis le film de Mike Leigh de 2014 (insoutenable et inoubliable Timothy Spall !) puis l’exposition à l’hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence deux ans plus tard. Un seul tableau suffit à établir la supériorité du maître, dont on trouvera dans la petite salle consacrée à l’aquarelle quelques œuvres à ne pas rater.
Dans la dernière section « Peinture d’histoire », un immense Fuseli (Henry Fuseli, Zurichois passé en Angleterre via l’Italie) inspiré du « Paradis perdu » de Milton, nous en met plein la vue (détail ci-contre).
Lise Bloch-Morhange
L’âge d’or de la peinture anglaise De Reynolds à Turner Chefs d’œuvre de la Tate Britain
11 septembre 2019- 16 février 2020. Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, 75006 Paris
Bonne nouvelle, j’avais cru comprendre que le musée du Luxembourg était à la peine… Apparemment, avec cette exposition, il fait mieux que survivre !
En fait Marie cette exposition est organisée par le Grand Palais en partenariat avec la Tate de Londres.
Chère Lise,
et Hogarth ? Est-il représenté ?
Vous devinez que ce mauvais esprit est mon peintre anglais préféré de cette période… et ses gravures (que Lichtenberg a commentées, ce qui a donné un court métrage mémorable de mon ami Philippe Collin) des pures merveilles !
Non pas de Hogarth, cher Philippe, et il ne m’a pas manqué! L’atmosphère de l’exposition ne s’y prête pas…
Il y a de très beaux portraits pourtant… Comme « La marchande de crevettes »
Sans doute pas assez chic, trop popu…
Mais bon, on polémiquera peinture un autre jour, j’ai un article à finir sur Patrick Wang, un cinéaste qui ne vous manquera pas non plus puisqu’il n’est pas (encore ?) un chouchou de Télérama…
Je ne lis pas Télérama!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Moi si… et je dois vous avouer que même si vous avez les mêmes goûts, je vous préfère mille fois ! (un seul point d’exclamation mais il en vaut mille)…