L’une des originalités de cet ouvrage post-mortem est qu’il contient des dessins de l’auteur. Sur cette esquisse, on devine Charles Bukowski lors des nombreuses lectures publiques qu’il a pu donner jusqu’à la fin de sa vie en 1994. Il s’agit d’un ensemble de textes retrouvés, parus dans d’obscures revues de l’underground américain. Il s’intitule « Tempête pour les morts et les vivants ». Et la quatrième de couverture précise bien qu’il s’agit de poèmes. Mais que les amateurs transis de Baudelaire ou de Rimbaud passent leur chemin ou alors qu’ils revêtent une tenue de protection dans le style guerre chimique. Son inspiration, Bukowski la trouve en effet sur des tables jonchés de bouteilles vides, de tasses à café emplies de mégots, de vomi pas toujours balancé dans les toilettes mais à côté. Chez lui, le bon goût est avalé comme par un trou noir.
Depuis le premier opus, « Mémoires d’un vieux dégueulasse », paru en 1977 aux éditions Speed 17, les lecteurs de Charles Bukowski, ne se choquent plus de rien. Ils ont pris l’habitude de ces univers pour pauvres, fous et dépravés, en marge de la bonne société américaine. Mais même avec cette accoutumance polie au cours des années, aux ambiances presque toujours cradingues, ce catalogue de poèmes fluidifié avec de la graisse usagée, arrive quand même de temps à autre, à faire se relever les sourcils des plus aguerris. Les autres ressentiront du dégoût et du mépris pour ce qui peut être aussi bien considéré comme de l’anti-matière. Il est celui qui écrit en 8 retours chariot qu’il a « 90.000 dollars/à la banque/50 balais/125 kilos sur la balance/jamais réveillé au son d’une alarme/et suis plus proche de Dieu/que n’est le/ moineau ».
Quelques lignes bien plus acceptables que maintes autres où il est question de sexe, de défécation et de bruits de chasse d’eau, où se mêle pourtant, la musique de Mahler diffusée à la radio les jours de cafard. De par son âge, Bukowski a surtout écrit à la machine à écrire. Il glissait une feuille de carbone entre deux feuilles par souci de duplication et de fait, l’un de ses poèmes mû au « carbone » ne peut que parler clairement aux seuls gens ayant connu cette époque si lointaine. Où n’existaient pas les ordinateurs individuels. Où le copier-coller n’avait pas de sens. S’il y a quelques dessins publiés on l’a dit, le livre contient également une image d’un de ses textes tapés à la machine. Seulement deux ratures, ce devait être un bon jour.
Oui c’était un vieux dégueulasse à même de débuter un poème par la satisfaction qu’il ressentait en lâchant des pets pourris dans son bain avant de conclure que « des taureaux agonisants se font traîner dans la poussière/mexicaine et moi dans ma baignoire/les yeux levés vers une ampoule de 60 watts je me dis que ça gaze ». C’est là que l’on appréhende mieux la folle distance séparant l’auteur des « Contes de la folie ordinaire » et la poésie que l’on étudie en classe de troisième. Entre Ophélie et les champs de courses où il aimait à parier, l’unité de mesure est l’année-lumière.
Lubrique, alcoolique, parfois drôle et souvent désespéré, Bukowski a écrit des romans, des nouvelles et de la poésie à partir de canapés déglingués, de perspectives considérées, entre un lave-vaisselle où moisissaient verres, assiettes, couverts, et, un frigidaire plus ou moins rempli de bouteilles de bières selon les jours de bonne et mauvaise fortune. Au ras du bitume qu’il arpentait quand il sortait, parmi les vieilles voitures et les poubelles renversées, il avait déniché principalement à Los Angeles, une certaine esthétique dans la crasse et la folie. Tout son propos était de la mettre en page.
PHB
« Tempête pour les morts et les vivants ». Charles Bukowski. Éditions du Diable Vauvert 2019. Vingt euros.
Je ne portais pas trop cet auteur dans mon cœur mais, grâce à cet article, je vais réessayer de le lire, on se sait jamais…