Le gang des cancéreuses

La libraire avait prévenu : « Attention, c’est très différent de ce qu’il écrit d’habitude », sans pour autant préciser si la surprise était bonne ou mauvaise.
Pour les amateurs et habitués de Sorj Chalandon, écrivain et journaliste au Canard Enchaîné, « Une joie féroce » affiche une certaine continuité avec ses précédents romans : une écriture précise et directe ; des personnages en colère ; un virage de dernière minute dans le scénario qui permet de prolonger la tension que l’auteur a su habilement distiller pour mieux nous surprendre.

Mais il y a plus inattendu : le narrateur est une narratrice, Sorj Chalandon se glissant dans la peau de son héroïne principale, avec une certaine réussite dans les mots choisis et la vraisemblance des sentiments exprimés. Le ton de ce « je » est très crédible. En outre, Chalandon partage avec sa narratrice et plusieurs de ses personnages féminins une expérience vécue de cancer. Ce qui rajoute à la crédibilité sans doute. Mais faut-il beaucoup partager avec ses personnages pour les faire vivre ?

Heureusement pour Chalandon – et même si les interviews qu’il a accordées à la parution de son livre lui ont donné l’occasion de préciser que lui et sa femme avaient été diagnostiqués d’un cancer à une dizaine de jours d’intervalle et que ce roman lui avait permis de mettre la maladie un peu à distance – il ne partage avec Jeanne et ses copines que l’expérience médicale. Parce que, pour le reste, il a eu la main lourde.

Soit quatre femmes, dont trois atteintes d’un ou plusieurs cancers, qui décident pour des raisons qui se dévoilent progressivement, de faire front ensemble face à la chimio, les nausées, les cheveux qui tombent et les vertiges. Elles deviennent copines, s’installent dans un même appartement, essaient des perruques et se racontent leur vie. Et les voici affublées d’un mari pleutre, d’un compagnon délinquant ou d’un amant violent, mais aussi privées de leur rôle de mère à la suite de la mort d’un enfant ou de l’enlèvement d’un autre par une belle-famille malfaisante… Stop ! N’en jetez plus.

C’est donc le roman de trois bagarreuses qui convertiront à la colère Jeanne, une sage libraire, bourgeoise effacée, résignée à une vie conjugale desséchée et qui passe sa vie à s’excuser, y compris quand elle cogne par mégarde un réverbère. Elles ont la chimio en commun. Elles se trouvent une autre cause à partager – récupérer la petite fille kidnappée de l’une d’entre elles – et pour payer la rançon, n’imagineront pas d’autre solution que le braquage d’une joaillerie de la place Vendôme. Révéler ici cet épisode aussi rocambolesque qu’invraisemblable n’est pas trahir un secret : il est annoncé dans les deux premières pages, il est assez réussi et surtout il est drôle. Et cette drôlerie qui survient un peu tardivement dans le récit souligne qu’un humour noir franc et assumé aurait pu donner plus de grâce à cette quête de liberté plus forcée que féroce, quoi qu’en dise le titre.

Chalandon dit avoir voulu rendre hommage à la force des femmes. Mais pour qu’une femme soit forte, faut-il vraiment lui coller un cancer agressif, un mari déserteur et un fils mort à sept ans ? Et faut-il les faire escorter par des personnages masculins très secondaires aux apparitions rarement flatteuses ? Le chemin buissonnier de Chalandon prend parfois des virages difficiles à valider.

Marie J

« Une joie féroce ». Sorj Chalandon. Ed. Grasset. 315 pages

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