« Once Upon a time in… Hollywood »: si Hollywood m’était conté

Dans le hall du Pathé de Boulogne-Billancourt, tout en haut de l’une des affiches du film, on peut lire : « Le 9ème film de Quentin Tarantino».  Étonnant, culotté, et très révélateur ! Qui a osé, avant lui, mettre en haut de l’affiche qu’il en est à son énième opus, comme si le monde entier retenait son souffle ? Il faut dire que Tarantino a déjà annoncé qu’il s’en tiendrait à dix films, la dizaine sacrée, comme cinéaste, définissant lui-même à l’avance le cœur même de son œuvre, et qui l’empêchera ensuite d’en réaliser d’autres ?
Il faut dire également que ses films constituent un univers bien particulier, qu’on aime ou qui vous révulse, et que ce petit dernier se présente comme un aboutissement de vingt-sept années passées à définir cet univers que l’on retrouve de film en film.
Je ne suis pas la plus grande fan de Tarantino, mais j’ai vu presque tous ses films, car j’aime bien être secouée par ce qu’il appelle sa « structure narrative non linéaire », cette façon de nous raconter une histoire en mélangeant les périodes et les intrigues. Il y a du Godard là-dedans, celui qui rompt le récit et nous donne à voir soudain tel tableau ou entendre telle musique, et d’ailleurs le natif du Tennessee (56 ans cette année) se réclame de lui comme d’autres maîtres tels Hitchcock, Kurosawa ou Leone. Sans oublier ce que l’on appelle son style pop, et ses musiques pop, soul, et rock d’époque venant ponctuer régulièrement des moments sans dialogue (nous voilà soudain dans celui-ci en plein Woodstock dont on célèbre le cinquantenaire).

Par contre je suis moins emballée par cette alternance de scènes calmes et de scènes hyperviolentes qui sont sa marque, et que je trouve lassante au bout d’un moment, comme dans ce dernier opus. Certes cette hyperviolence est stylisée, mais quel est son but ?
Dans « Once Upon a time in… Hollywood » il y a deux passages où l’un des héros se plaît à arroser des quidams au lance flamme avec une joie hystérique. Que vient faire ce plan où surplombant une poignée d’officiers nazis réunis autour d’une table examinant une carte, il se met à les griller avec son arme en hurlant quelque chose comme « Vous allez faire de l’excellente choucroute grillée vous sales nazis ! ». Du pur Tarantino, auteur de «Inglourious Basterds», situé dans la France occupée, loin d’être son meilleur film. De même une des séquences finales où ce héros arrose à nouveau au lance flamme une adversaire réfugiée dans sa piscine bien au-delà du temps nécessaire. On comprend que le cinéaste laisse, à ces instants, libre cours à un certain sadisme difficile à supporter.

Mais on retrouve aussi d’autres de ses obsessions dans ce film, à commencer par la nostalgie du Hollywood de la fin des années 60, ou plutôt des décennies précédentes, le Flower Power hippie signant la fin de la grande époque des studios. De ce point de vue, les deux héros sont remarquablement imaginés. Ils forment un duo, presque un couple : Rick Dalton est une ancienne gloire des feuilletons télévisés des années 50 spécialisé dans les rôles de cow-boy, et Cliff Booth est son cascadeur et sa doublure attitrée.
Effectivement, les feuilletons de ce genre avaient fleuri à Hollywood dans les années 50, tels « Gunsmoke », « Fury » ou « Rawhide » dans lequel s’illustra Clint Eastwood, qui se fit ensuite embaucher par Sergio Leone (un des maîtres de Tarantino) pour sa trilogie du dollar magnifiant le western. L’importance prise par la télévision signait une certaine décadence hollywoodienne, sans que l’on pressente encore l’arrivée du Nouvel Hollywood.

Nous sommes en 1969, peu avant Woodstock et le massacre de Sharon Tate par la secte droguée de Charles Manson (toujours en prison). Tarantino a confié le rôle de Rick, l’acteur déchu, à Leonardo DiCaprio, et celui de son fidèle second Cliff à Brad Pitt, pour la première fois réunis à l’écran en co-stars paraît-il. On peut compter sur eux pour aller très loin et servir au maximum l’esprit de dérision tarantinien.

Rick est pathétique : il manque de confiance en lui, ne sait comment passer du petit au grand écran, se désole, se réfugie dans l’alcool, pleure souvent, et plus le film se déroule, plus on l’affuble de perruques horribles, jusqu’à cette moustache qui lui donne l’air d’un parfait plouc. On se demande comment DiCaprio a pu accepter de s’enlaidir autant. Face a ce parfait has been, Brad Pitt est Mister Cool himself. Précisons qu’il partage sa roulotte avec son dogue, qu’il nourrit de façon dégoûtante. Mais les relations entre les deux hommes sont étonnamment chaleureuses et positives.

Visuellement, la passion du cinéaste pour cette époque est très présente, qu’il filme des lieux emblématiques comme des cinémas Art déco toujours sur pied ou le fameux restaurant Musso and Frank (toujours actuel) avec apparence rarissime de Al Pacino, ou qu’il fasse apparaître sans cesse des affiches de films donnant à l’ensemble une coloration kitsch et pop. Quant à ses deux héros déchus (l’un s’en désole et l’autre s’en fiche), on les voit souvent parcourir Hollywood Boulevard dans une longue Cadillac blanche. Aucun trucage, surtout.
Et comme à son habitude, il entremêle plusieurs histoires, le meurtre de Sharon Tate dans la maison des Polanski sur Cielo Drive servant en quelque sorte de fil d’Ariane tout du long. Mais grâce à une étonnante pirouette, rassurez-vous, vous n’en verrez rien. Tarantino ne craint pas de prendre ses distances avec l’Histoire tout en jouant avec elle, quitte à la détourner à la fin de façon culottée et touchante.
Rappelons-nous : le film s’appelle « Once Upon a time », « Il était une fois », et c’est ainsi que commencent les contes…
Rappelons-nous également : nous avons appris le 16 août dernier la mort de Peter Fonda, le héros de « Easy Rider », emblématique de la contre-culture, sorti en 1969, l’année où se situe de film de Quentin Tarantino. Peter Fonda en biker annonçait la naissance du New Hollywood.

Lise Bloch-Morhange

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4 réponses à « Once Upon a time in… Hollywood »: si Hollywood m’était conté

  1. philippe person dit :

    Chère Lise,
    merci de votre première chronique 2019-2020…
    Je devais aller voir le film de Cantine Tarrentino mais le hasard des projections de presse a fait que je suis allé voir « Pour Sama », un documentaire d’une journaliste syrienne, Waad Al-Kateab, qui a filmé pendant des années la vie à Alep, et notamment les mois de siège. Son mari est chirurgien, il a tenu à bout de bras et jusqu’au bout les « hôpitaux » de la résistance pratiquant « 890 opérations en 20 jours » au pire du siège…
    On y voit des enfants, des femmes, des vieillards, mutilés, ensanglantés, écrabouillés… et – ô miracle – un bébé extrait d’une femme morte qui, grâce à l’acharnement des médecins pousse son premier cri. « Lui, il veut vraiment vivre » dit l’un des infirmiers…
    Bref, ce documentaire magnifique et insupportable au sens propre n’aura pas la « napalm d’or » que visait Cantine…
    Et enlève, pour un certain temps, l’envie du grand-guignol tarantinesque. Ici les morts ne se relèvent pas, les bons ne gagnent pas contre les méchants. On ne mange pas de pop-corn mais une infâme bouillie où grouillent des insectes.
    Ici, les enfants ne seront jamais des teen-agers un peu gras et bêtas comme Cantine…
    Peut-être qu’ils auraient préféré plutôt que de compter les roquettes et les bombes
    Chère Lise, je crois que vous aimerez ce film qui sort le 9 octobre et qui est passé hors compétition à Cannes.

  2. Cher Philippe,
    vous me faites une mauvaise querelle. On ne peut pas comparer et opposer un documentaire et une oeuvre de fiction. L’un n’empêche pas l’autre, comme on dit.
    Par ailleurs il y a bien autre chose que du « grand-guignol » chez Tarantino, même si ce n’est pas votre tasse de thé.
    Il y a une vraie vision du cinéma hollywoodien, des personnages fascinants, de grands acteurs, un style percutant, et la violence est très marginale et stylisée.
    D’ailleurs cette violence ne dit-elle pas quelque chose de celle de notre monde réel, celui auquel vous nous renvoyez à juste titre?
    Je vous souhaite une belle rentrée lecteur fidèle!

    • philippe person dit :

      Ah ! l’éternel débat…
      N’oubliez pas d’aller voir Pour Sama à sa sortie, car justement ce n’est pas qu’un documentaire… Où s’arrête la fiction, où commence le réel… Je ne voulais surtout pas vous chercher querelle… Tarantino a dit qu’il ferait dix films de fiction… Peut-être après (il n’aura alors pas plus de 60 ans) passera-t-il au documentaire à la Wiseman par exemple…
      J’attends vos prochains articles et pas simplement pour polémiquer…
      bonne plume, donc !

  3. Yves Brocard dit :

    Bonjour,
    J’ai bien aimé votre analyse, mi-figue-mi raisins (de la colère), sur ce nième Tarantino. Moi non plus je ne suis un grand fan de Tarantino. Il a une grande maitrise et une audace, mais le résultat n’est pas à la hauteur : très répétitif, caricatural, lassant. Personne n’en ressort grandi, ni lui, ni ses personnages, ni ses acteurs.
    Il y a depuis quelque temps une grande mode aux longs trajets en voiture (ou vélo ou scooter en France, chacun ses moyens et sa vision écologique) dans les films, cela permet de faire durer le film pour pas cher et sans grande idée de scénario, mais c’est totalement dépassé et affligeant. Les scènes longues et répétitives d’hyper-violences (vous avez parlé des deux scènes de lance-flammes, mais il y en a malheureusement pas mal d’autres !) gratuites (c’est ce qui les rend d’autant plus effrayantes, miam-miam) sont assez dérisoires, et parlantes d’une certaine Amérique passée, et de retour. Comme vous l’avez dit aussi, pas mal de scènes sortent d’un chapeau (dont celles du lance-flammes), n’ont rien à faire là, mais elles sont là, parce que Tarantino avait envie de la faire mais ne savait pas bien où la mettre.
    Le plus critiquable à mon avis, et c’est le point d’orgue (ou la chute finale plutôt) est cette scène dont vous avez parlé, de simulacre de l’assassinat de Sharon Tate. Pourquoi avoir déplacé le crime dans la maison d’à côté, comme pour dire que Sharon Tate n’a pas été assassinée et que cette sosotte, dans la maison d’à côté, n’a rien vu ni entendu, pas même les sirènes de la police et des ambulances, pourtant loin d’être discrètes aux Etats-Unis. Tarantino tourne cet affreux carnage en farce ridicule. Sharon est donc vivante et son bébé va pouvoir naître. Circulez, ils n’y a rien à voir. C’est vraiment une baffe donnée à Sharon et son mari.
    Emmanuelle Seigner, la femme de Roman Polanski, a exprimé sa colère contre ce film, et même si je n’ai pas de sentiments positifs vis-à-vis de Polanski, pour le viol qu’il a commis aux Etats-Unis, je comprends cette colère.
    Ce film est bien fait, mais dérisoire.

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