Les abonnés aux Soirées de Paris connaissent bien la signature de Philippe Bonnet. Celui qui en 2010 a redonné vie à la revue culturelle d’Apollinaire y traite les thèmes les plus divers, abordant souvent des friches inexplorées ou des sujets délaissés. Mais le lecteur commettrait une erreur de jugement s’il pensait qu’avec les «Textes de variété moderne » qu’il vient de publier, Philippe Bonnet possède une double vie : journaliste le jour, poète la nuit. En réalité, qu’il s’agisse d’articles au quotidien (on sait qu’il a une longue pratique du métier de journaliste), de textes de réflexion ou encore de pure création comme ici, il n’a pas son pareil pour débusquer la poésie cachée dans les interstices de la quotidienneté.
Dans ces cinquante textes courts (qu’on nous accorde la liberté de les appeler « Poèmes »), Philippe Bonnet agit comme le révélateur d’une réalité insoupçonnée. Quand les mystères veulent se cacher, ils se mettent en pleine lumière, dit Giono ; Il en va de même pour ces moments intimes et fugaces, cette poésie de proximité qui apparait là où on ne pensait pas la trouver. Même le téléphone portable ou l’informatique peut devenir objet du désir : « Je t’aime ô mon fichier JPEG ».
Précision qui peut avoir son importance : ces textes ont été rédigés, nous dit l’auteur, sur un téléphone portable dans les moments creux d’une journée ordinaire ou les intervalles de temps qui ponctuent la vie (trajet en métro, attente d’un avion). Chacun d’entre eux est accompagné d’une image d’origine photographique qui agit en contrepoint ou en illustration. Il serait fort imprudent de se demander quel médium a précédé l’autre, mais leur association permet d’accentuer le trait comme pour le charmant « Estelle (laquelle) mon cœur ma mort / Mon cornet de glace / À la pistache/ En dessous bleus » ( “Dessous de glace“), ou encore cet aphorisme d’“Ophtalmologie“ : « Vous les myopes / vous les presbytes / Vos baisers ne seront jamais flous ».
L’humour est très souvent présent. Il n’est jamais grinçant ou agressif. Il survient d’une rencontre inattendue ou d’une association improbable. Il y a du Queneau dans la célébration grammaticale de « Conjugaison » : « Je pratique la débauche / au subjonctif imparfait / Dans l’espace nuageux de la concordance des temps / Je riais de mon temps libre / Afin que les étoiles allassent / Et vinssent du papier à la toile » .
Philippe Bonnet n’utilisera les substantifs rares qu’avec une extrême parcimonie. Mais alors, avec quelle gourmandise il parle des Lamellibranches dulçaquicoles (« Dans votre doux corridor, laissez-moi entrer » ), des béjaunes, des bélitres, des bélandres et des bergamotiers (“ Duo“) ! De même, c’est avec jubilation qu’il rend hommage à Apollinaire, exercice obligatoire, mais consenti et revendiqué. L’oiseau pihi retrouve vie et un texte en acrostiche évoque l’un des plus émouvants poèmes à Lou “Si je mourais là bas“.
Derrière la simplicité de ton, derrière une apparente décontraction, une lecture même rapide montre que le poète n’échappe pas aux thèmes éternels de toute poésie, la fragilité de l’existence et la fugacité de la vie: « Mer de sel / Surface blanche / Comme un coma / J’avance / Fonctions vitales / Réduites à l’essentiel » (“Effet tunnel“). Le dernier texte de la série ( “Démon“), troublante métaphore à partir d’une banale machine à laver, est explicite. Derrière le hublot « Je vois un petit démon / Qui agite ses bras / M’indiquerait il / Ma fin prochaine ».
L’antidote à ces éternelles et désespérantes questions, c’est sans doute dans la poésie qu’il faut le chercher. Parce que seuls les mots de la poésie autorisent toutes les libertés : « Seule la censure est en garde à vue / Là-bas / Derrière la palissade rose / Accès direct par Saint-Lazare / Tous les mots sont / des prisonniers en cavale » (“Là-bas“).
La poésie de Philippe Bonnet n’a jamais été prisonnière.
Gérard Goutierre
– « Textes de variété moderne », de Philippe Bonnet éditions Bleu &Jaune 18 euros
– « Apollinaire, Portrait d’un poète entre deux rives » (2018) éditions Bleu &Jaune 18 euros
– « L’éternité probablement » Anne Sigier éditions (2005)
Je souhaite de nombreux lecteurs à Philippe pour ce nouveau recueil.
Quant à la citation de Cocteau à propos des mystères,je serais curieux d’en connaître la source car je me demande s’il ne s’agit pas plutôt d’une citation de Giono qui écrivait dans « Ennemonde et autres caractères » : « Quand les mystères sont très malins ils se cachent en pleine lumière . »
Merci à Jacques Ibanès pour sa lecture attentive et rendons à Giono ce qui n’appartient pas à Cocteau : la phrase doit en effet lui être attribuée, et non à son ami Cocteau, même si ce dernier n’a jamais été en reste pour son goût des mystères !
Corrections faites, merci.
Oui, Gérard, il y a de la grâce et de la délicatesse dans ces poèmes (liberté d’appellation accordée !), un humour en filigrane et des images qui ouvrent toutes les portes du rêve