Le nom du Havre est généralement associé à celui d’Auguste Perret, l’architecte qui a rebâti son centre-ville au lendemain de la seconde guerre mondiale. Grâce à la préfabrication et à l’utilisation du béton, Perret a su créer un ensemble unique et homogène, classé en 2005 au patrimoine de l’Unesco.
On associe moins Le Havre à Raoul Dufy. L’exposition « Dufy au Havre » qui se tient actuellement au MuMa, musée d’art moderne André Malraux, est l’occasion de rappeler que ce peintre majeur du XXe siècle, qui est né au Havre, est resté fidèle à sa ville natale toute sa vie.
Elle réunit près de 90 œuvres de Dufy, issues du fonds propre du MuMa ainsi que de collections publiques et privées, françaises ou étrangères. Comme le centre-ville de Perret, l’exposition Dufy au Havre est unique et homogène. Unique, par la qualité et singularité des tableaux exposés – certaines toiles sont présentées au public pour la première fois. Homogène par le thème, la permanence du paysage du Havre dans les créations du peintre. Ce paysage portuaire et balnéaire l’a en effet inspiré toute sa vie alors qu’il en a passé la majeure partie ailleurs. Le parcours du MuMa s’articule autour des différents mouvements artistiques traversés par Dufy.
Raoul Dufy est né au Havre en 1877. Il commence à travailler dès l’âge de 14 ans et suit en parallèle les cours du soir des Beaux-arts du Havre où il rencontre Braque et Friesz. Le Havre a été pour lui la meilleure des écoles artistiques, comme il le confiera en 1944 au critique d’art René Barotte dans le journal Comoedia :
« Le Havre ? Je dois à ce pays unique toute ma formation artistique. Là-bas, j’ai travaillé avec Lhullier, qui fut un excellent maître. Mais aussi employé à dix-sept ans par une compagnie d’importation, j’ai commandé à des dockers. J’ai passé ma vie sur le pont des navires : c’est une formation idéale pour un peintre. Je respirais tous les parfums qui sortaient des cales. À l’odeur, je savais si un bateau venait du Texas, des Indes ou des Açores et cela exaltait mon imagination. J’étais transporté par le miracle de cette lumière des estuaires seulement comparable à celle que j’ai trouvée à Syracuse. Jusque vers le 20 août, elle est radieuse, ensuite elle prend des tons de plus en plus argentés. »
En 1900, Dufy quitte Le Havre et part suivre les cours des Beaux-arts à Paris. Il se fait remarquer dès 1901 au Salon des artistes français avec « Fin de journée au Havre », une toile sombre et réaliste qui dépeint la fatigue des dockers déchargeant des sacs de charbon sur un quai.
Il revient fréquemment retrouver ses proches au Havre. Très vite, il y découvre le fonds Boudin, donné au musée havrais après la mort de Boudin en 1898 ainsi que les tableaux de Monet. Claude Monet a vécu près de 20 ans au Havre. C’est d’ailleurs le port du Havre, représenté sur son tableau « Impression soleil levant », qui a donné son nom à l’impressionnisme. Comme Boudin et Monet, Dufy choisit alors d’installer son chevalet sur la plage pour peindre des marines mais aussi des scènes balnéaires avec de nombreux estivants.
Il poursuit ensuite son expérimentation et ses recherches picturales en se tournant vers Matisse et les fauves. Son objectif est de libérer la couleur et d’être plus inventif. En 1907, c’est aux recherches de Cézanne, très influent sur le développement des avant-gardes, qu’il s’intéresse. Il transpose les principes du cubisme de Cézanne à des panoramas maritimes emblématiques de sa ville natale.
Vers 1915, nouvelle orientation. Un passage par l’ornemental (il peint des motifs de tissu et fait des illustrations de livres) lui permet de schématiser en simplifiant les formes et densifiant les couleurs. Elles éclatent, effrontées et rebelles, sur un parterre de formes stylisées ; un couronnement, devenu en quelque sorte sa marque de fabrique. Sa série des baigneuses synthétise à la fois ses recherches cubistes et son évolution plus décorative et colorée.
Après ses grandes baigneuses, il connaît lui aussi sa période bleue. Bleu comme le ciel pur, bleu comme la mer. De grandes toiles éclatantes de vie et de lumière où réalité et invention se superposent pour décliner les paysages maritimes jusqu’à la limite de l’abstraction sans jamais la tutoyer.
Pendant la guerre, Dufy, malade, s’installe dans le sud de la France où il restera jusqu’à la fin de sa vie. Il ne revient au Havre qu’une fois en 1951. Le Havre sera le cadre de son ultime série, celle des « cargos noirs ». Une série intrigante. Le jaillissement des couleurs vives, propre à Dufy, y est contrarié par le déplacement d’un petit cargo fantomatique qui avance dans une brume noire. Pour Dufy, l’utilisation du noir marque l’aboutissement de ses recherches sur la couleur : après l’éblouissement provoqué par la réverbération sur les flots, l’œil aveuglé ne voit que du noir. Sachant le peintre malade, on serait tenté d’y voir la chronique d’une mort annoncée. Dufy est mort en 1953.
Lottie Brickert
Exposition « Dufy au Havre », jusqu’au 3 novembre 2019, MuMa, 2 boulevard Clémenceau, 76 600 Le Havre.
Mardi au vendredi : 11 h à 18 h ; week-end : 11 h à 19 h – Plein tarif : 10 euros – Tarif réduit : 6 euros – Gratuité pour les moins de 26 ans, chômeurs et bénéficiaires du RSA.
Peintre majeur c’est beaucoup (trop) dire !
Dufy m’a toujours paru assez superficiel. Il s’agit seulement d’une peinture habile.
Et ce ne sont pas les fréquentations célèbres qui font le talent…
Très beau portrait d’un peintre qui a marqué son temps, biographie fidèle qui éveille l’intérêt du lecteur et donne envie de faire le déplacement jusqu’au Havre rien que pour voir l’expo ! Merci à toi, Lottie pour cet enseignement et les coups de coeur que tu nous fait partager, Alice