Le fourgon avale la piste, une ligne droite ocre et poussiéreuse, paysage de brousse avec de loin en loin de hauts arbres solitaires. La piste devient route, la circulation s’intensifie, nous traversons Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Ici cyclomoteur est roi, il surfe au milieu des voitures. À l’arrière du fourgon, un enfant, trois ans peut-être, somnole la tête sur la poitrine de sa mère. Le chauffeur et son passager parlent peu. Au Burkina Faso, la langue officielle est le français ; il existe en outre une soixantaine de langues nationales. Cela dit français ou pas, il n’est pas facile de suivre une conversation! Après 200 kilomètres d’une seule traite, le fourgon s’arrête devant les bâtiments simples et élégants de l’aéroport de Ouagadougou.
Ouagadougou – CDG AF339/Élise commençait à ressentir une boule dans le ventre, une boule qu’elle connaît bien. Pour l’instant, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. L’équipage de l’avion est au courant, l’accueil aussi. Elle a encore deux heures devant elle, mais elle ne sera tranquille qu’une fois dans l’avion, bien haut dans le ciel. Ici le gilet se porte plutôt bleu clair avec un gros « Aviation sans frontière » écrit sur le dos.
Enfin les voilà. C’est le premier vol en solo pour Élise. La petite Naveline souffrait de la maladie bleue, le cœur se mélange les pinceaux expédiant le sang artériel et le sang veineux dans la mauvaise direction. Les lèvres de Naveline tiraient sur le gris.
Il est loin le chemin qui a amené l’accompagnatrice de l’ONG à Ouagadougou. Du jour où un « French doctor » a décidé qu’il fallait opérer la môme, une mécanique subtile se met en route. il faut préparer son transport dans la brousse. Peut-être en profiter pour effectuer d’autres évacuations sanitaires ou expédier des colis de médicaments ou du matériel médical. Il faut préparer l’accompagnement des enfants et les intégrer dans notre système de soin hospitalier en Europe.
Naveline doit se faire opérer dans un hôpital de province, mais pour y arriver elle va lui falloir prendre le TGV. Mais qui va l’accompagner ? Elle sera ensuite prise en charge par une famille d’accueil. Enfin la petite reviendra, accompagnée par une volontaire d’Aviation sans frontière, jusqu’à Ouagadougou. Mais c’est une autre histoire, pas moins déchirante.
Une chaîne sans fin et un nombre impressionnant d’organisations ont assuré le succès de l’opération, même si pour le moment la petite pleure toute les larmes de la terre dans les bras sans tendresse de la mère. Élise propose d’enfiler des chaussettes, antidérapantes les chaussettes, car dans les avions, il fait froid. Cela ne calme guère la gamine qui n’a jamais vu de sa vie une paire de chaussettes. Le père se décide à intervenir, il tend la main vers la petite fille qui se laisse glisser dans ses bras. La femme, est-ce vraiment la mère, lâche l’enfant. Du bout d’un doigt sans énergie, la femme traça un cercle sur le crâne de l’enfant. Ce sera le seul signe d’intérêt qu’elle lui manifestera. Une fois dans les bras de son père, elle cessera immédiatement de pleurer.
Une hôtesse de l’accueil d’Air France fait un signe à Élise. Il est l’heure de monter dans l’Airbus pour Paris. Il faut faire vite, on ne peut pas dire que les bagages les embarrassent. Il n’y en pas. L’enfant s’est laissé prendre dans les bras d’Élise. Huit heures de vol et un dernier obstacle. Un enfant de plus de deux ans doit être attaché à son fauteuil. Naveline qui s’était calmée ne l’entend pas du tout de cette oreille.
Allez, on a bien dit que Naveline était la reine du vol. Elle décollera dans les bras de son accompagnatrice. Là-bas dans la brousse, tout le monde mange du mil et du sorgho. Dans l’avion le mieux est de laisser les enfants suivre leurs envies même s’ils font un sort au gâteau au chocolat de l’accompagnatrice ! Huit heures de vol, Roissy, Naveline n’en n’a pas fini, le TGV, l’ambulance, la famille d’accueil.
Aviation Sans Frontières en 2019 a effectué 1 229 prises en charge d’enfants malades grâce à 347 accompagnateurs bénévoles dont 24 médecins, infirmiers (-ères) ou pompiers. Chaque mission coûte actuellement en moyenne 300 euros. Cette somme couvre le coût du visa et du billet d’avion à tarif réduit du bénévole accompagnateur. En tant que membres du personnel des compagnies aériennes, ces bénévoles font bénéficier Aviation Sans Frontières de tarifs préférentiels sur l’achat de billets d’avion. De plus, l’ONG peut profiter du don de miles et de points American Express.
CDG -Yaoundé AF719/Tout ne va pas forcément bien pour les bénévoles. Élise me raconte qu’au départ de Paris direction Yaoundé, au Cameroun, elle se présente avec deux enfants à l’enregistrement. Problème, le traitement de l’enfant a été plus long que prévu et l’association médicale qui gère le dossier de l’enfant a oublié de demander la prolongation du visa. Au contrôle, pas de visa pour le gamin. Rien à faire et l’heure tourne. Seul le téléphone semble s’agiter, fausse alerte. Élise sort sa dernière cartouche. « Pour résumer, le visa d’entrée de l’enfant n’a pas de visa pour entrer ou sortir du Cameroun, collez nous dans la zone sans papiers ». Le regard effaré du fonctionnaire face à deux enfants et cette personne peu aimable ; deux enfants et deux directions différentes, deux témoins qu’il faut passer au même moment. Heureusement, les enfants sont à Paris. Un responsable d’Aviation sans frontière trouve un contact. Sauvé, le fonctionnaire fait signe à Élise. Il tamponne enfin les passeports.
Bruno Sillard
Pour se calmer, Élise a écrit lors du vol ce texte. Touchant le texte.
En…vol
Partir pour quelques heures
Faire le plein de bonheur
Adieu famille de France
Pourquoi tant de souffrance
Câliner, rassurer
Et vous apprivoiser.
Angelina princesse
Parée de jolies tresses
Ton regard me transperce
Détecteur de tendresse
Blottie tout contre moi
Tu t’endors sans effroi
Ange, tu es ton prénom
Amour de p’tit garçon
Ton sourire est si bon
Nous avons bien chanté
Une vraie complicité
Pas envie d’te quitter.
Petits cœurs réparés
Si tristes de rentrer
Si heureux d’arriver..
Petits cœurs déchirés
Entre famille de cœur
Et famille du bonheur.
Vous voici arrivés
Posés à Yaoundé
Déjà vous me manquez …
Élise
Merci pour ce beau texte.
On se voudrait dans l’avion à consoler Naveline…