Chacun se débrouille comme il peut. Face au bazar de la réorganisation des transports à Paris, le piéton n’est pas à la fête. Depuis deux ans au moins, il doit faire face à de multiples dangers. Au premier rang desquels figurent les vélos et trottinettes boostés à l’énergie nucléaire. On peut comprendre les usagers de ces engins qui fuient des transports en commun saturés et le cauchemar consistant à utiliser une automobile. Toujours est-il que sur le trottoir, son terrain légitime, l’ex cueilleur-chasseur qui mise sur ses deux jambes pour se déplacer, n’est plus que la proie des circonstances. Ses anges gardiens sont au taquet. Le marcheur a tout de la cible dans un jeu-vidéo. Il est devenu un intrus suscitant l’agacement du pilote de trottinette consultant ses textos. Théoriquement prioritaire partout, l’humble promeneur ne peut que céder le passage, mine contrite, afin de conserver son intégrité.
D’autant que ses ennuis ne s’arrêtent pas là. Paris est en chantier. Et quel chantier! Au mois de mars le journal Le Parisien en recensait plus de 6000 simultanés dont 459 directement pilotés par la ville. L’enjeu des élections municipales au mois de mars de l’année prochaine a déclenché une frénésie d’aménagements. On ne compte plus les trous, les palissades, les détours, les déviations et les panneaux avertissant dans un français précaire: « C’est quoi ce chantier« . Outre ceux de la ville-même, il y a aussi ceux des concessionnaires (chauffage, gaz, électricité) qui opèrent pour le compte de la cité.
Et puis il faut compter avec les constructions ou rénovations d’immeubles (57% du total selon le Parisien). Autrefois, ce type de travaux ne détournait pas de leur trajet celui ou celle qui se rendait par exemple à son travail, car un passage était aménagé. De nos jours le piéton doit changer de trottoir. « Traversée obligatoire » lui indique-t-on. Si deux immeubles sont construits dans la même rue mais pas sur le même côté, il est alors contraint à d’éprouvants zigzags. D’autant que les passages provisoires, en principe conçus pour traverser en sécurité, sont à peine pris en compte par les automobilistes, transformant le piéton en kamikaze.
Deux adjoints de la mairie, cités par le Parisien justifient les épreuves infligées à leurs administrés. D’abord parce que « le Paris du XXIe siècle ne ressemblera pas au Paris du XXe siècle, marqué par le tout-automobile » selon le premier et que cela se traduira sur les nouvelles places en cours de réinvention (Bastille, Panthéon, Madeleine, Nation, Italie, Fêtes et Gambetta) par « 50 % d’espace supplémentaire pour les piétons et cyclistes » assure le second. Accordons leur le bénéfice du doute car, au regard des ratés de la gestion municipale sur le parc des vélos ou les voitures en libre-service, les réserves seraient pour le moins de circonstance.
Actuellement le piéton est une espèce en péril, d’autant plus s’il est âgé ou handicapé. Les trottinettes et bicyclettes qui circulent sans crier gare sur les trottoirs, brûlant les feux rouges (avec une permission officielle pour les seconds), constituent autant de périls permanents. Se balader le nez au vent sur ses deux pieds ne peut se faire qu’à condition d’avoir transmis au préalable à son notaire d’ultimes dispositions testamentaires. Déambuler sur les quais du canal de l’Ourcq, ou sur les berges de Seine impose une vigilance de tous les instants.
« J’erre à travers mon beau Paris/Sans avoir le cœur d’y mourir » nous disait Apollinaire dans la « Chanson du mal aimé ». C’est bien le cas des Parisiens aujourd’hui, lesquels jour après jour, ne comptent plus les indélicatesses d’une équipe municipale obsédée par les mirages d’une ville de science-fiction. Dont les animateurs se donnent pour objectif de répandre du vert, des ruches et des fermes en étage au petit bonheur des opportunités, mais tout en artificialisant par ailleurs les sols pour y construire des bâtiments à usage varié et présumés vertueux. En attendant le piéton fulmine. Il travaille son jeu de jambes au-dessus de ceux qui suffoquent dans le métro. Pas sûr dans ces conditions qu’il ait bien capté le message universel des temps nouveaux, pas évident qu’il en ait bien assimilé la morale.
PHB
Excellent papier comme toujours…