Peu avant de mourir énucléé par un cruel Sarrasin dans un passage pyrénéen, Roland a tenté de se débarrasser de son épée afin qu’elle ne tombât pas aux mains de l’ennemi. C’était une arme de marque Durandal. Comme elle refusait de se briser au point de créer une brèche dans la montagne, Roland a selon la légende, lancé l’épée à travers bois et la fameuse lame est allée se ficher dans un rocher de Rocamadour, à une grosse journée de cheval. « Ah! Durandal! si belle et saintissime! » proclamait-il au milieu de ses vains efforts. Pour un peu, on serait tenté de croire que le neveu de Charlemagne tentait ainsi une opération de promotion, slogan à l’appui. Ce qui n’aurait rien enlevé à sa mort héroïque tout en préfigurant le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.
Qui se soucie encore de la chanson de Roland à Roncevaux. Peu de monde assurément. Sauf à dénicher chez un libraire de la rue des Écoles une édition de 1944 préfacée par un certain Raoul Mortier lequel a donné son nom à au moins un lycée. Ce livre aux pages jaunies, acquis pour dix euros, nous plonge dans un vertigineux passé. C’est un ouvrage bilingue avec à gauche la version old school et à droite la transcription dans un français intelligible, ou Durandal s’écrit Durendal avec un « e ». Raoul Mortier s’est appuyé pour ce faire sur le manuscrit d’Oxford, le plus ancien répertorié à ce jour et conservé, au moins en 1944, dans la bibliothèque Boldléienne d’Oxford. La transcription est présentée comme assonancée, c’est-à-dire, portant des répétitions de sons.
Autre aspect captivant, l’écriture médiévale du manuscrit d’Oxford se caractérise par l’emploi de la lettre minuscule dite « minuscule caroline ». Cette jolie façon de dire correspond à une volonté de Charlemagne de mettre un terme à l’usage exclusif des majuscules. Ainsi lorsque l’on chante « Cumpainz Rollant (sic), sunez vostre olifan » (Ami Roland, sonnez votre olifant), la première lettre est en majuscule et le reste de l’envoi est en mode caroline ce qui est tout à fait enchanteur on en conviendra. Ce qui est assez étonnant par ailleurs, c’est que le texte a été écrit par un scribe (c’est bien le moins). Raoul Mortier en arrive à cette conclusion étrange, en raison des fautes apparentes. Pour lui, l’homme de l’art qui a cependant tenté de corriger certaines coquilles, était ce faisant « négligent« . Il y eut ensuite selon l’auteur, des réviseurs, lesquels faute de charte éditoriale sans doute, ont rajouté de nouvelles fautes tout en procédant à des « rectifications heureuses« . La version ancienne qui nous est présentée contient ces fautes ou des manquements divers mais elles sont signalées avec une astuce typographique qui permet de les détecter. Raoul Mortier était un homme honnête assurément puisque lui-même, à la toute fin de l’ouvrage, publie sur une page une trentaine d’errata. Ainsi page 141, il n’aurait pas dû transcrire « leisîr » (lire) avec un accent circonflexe. Vu la complexité de son travail, il bénéficie, quelque 70 ans plus tard, de toute notre indulgence.
N’empêche, le mieux dans cette affaire est l’épée Durandal dont les couteaux Laguiole et même les Opinel sont les lointains descendants. Selon la légende qui par définition ne s’embarrassait pas de crédibilité, c’est un ange qui l’aurait confiée à Charlemagne afin qu’il en équipât Roland. Peu avant de passer de vie à trépas, après s’être époumoné au bec de son olifant (de marque inconnue), le comte de la Marche de Bretagne appela en vain l’archange Gabriel afin qu’il vînt à son secours. Lequel s’est contenté de mettre l’arme en lieu sûr à Rocamadour par voie aérienne mais sa trace s’étant perdue il est bien possible qu’elle soit montée au ciel. À ce niveau de prodiges, tout est permis.
Du temps d’Apollinaire (car il y a toujours un rapport) certains fêtards faute de prétexte, s’étaient mis en tête de dresser à l’été 1912, un banquet en l’honneur de Roland, disparu un 15 août de l’an 778. Comme le rappelait Geneviève Dormann dans son livre « La gourmandise d’Apollinaire », c’est l’ami de Guillaume, l’Italien Ricciotto Canudo, qui en eut l’idée. Le monde est plein de distractions pour peu que l’on sache chercher et s’intéresser, en l’occurrence, aux minuscules carolines.
PHB
Canudo qui est l’inventeur de la formule « Septième art » pour désigner le cinéma !
Philippe, votre écriture est toujours en Carolines majuscules, sous l’oeil ému des tortues du même nom. Merci de ce partage.
Sur quelles délices d’écriture ouvrent vos trouvailles bibliographiques, cher Monsieur Bonnet !