En 1959, Françoise Sagan, à vingt-cinq ans, avait choisi ce titre pour son nouveau livre tout simplement parce qu’il lui semblait mélodieux. Aimez-vous Mendelssohn ou Mozart, ça n’allait pas, disait-elle (voir son interview sur YouTube par Pierre Dumayet). C’est ainsi que Simon, le jeune soupirant de Paule, décoratrice de trente-neuf ans, l’emmenait à la salle Pleyel écouter Brahms, et qu’elle lui tombait dans les bras. Notons au passage qu’en 1959, une femme de trente-neuf ans considérait pratiquement sa vie comme finie, ce qui nous fait rire aujourd’hui…
Pas d’amour particulier de Sagan pour Brahms, donc, et quant à moi j’ai tendance à associer ce nom avec une certaine lourdeur musicale bien germanique. Et je me demandais comment l’excellentissime violoncelliste français Henri Demarquette avait pu concevoir une soirée de musique de chambre autour de Brahms.
Intitulé « Classic Band », « Demarquette and friends » (and why not ?), il s’agissait d’inaugurer le 13 mars dernier un nouveau concept à la Seine musicale, sur le beau vaisseau de bois et de verre amarré en aval de l’île Seguin à Boulogne. L’idée étant de «lancer une invitation aux solistes français qui marquent l’époque pour écrire une nouvelle page du « concert classique », du « classique pas classique » en somme », pour toutes celles et ceux « intimidés ou refroidis par les récitals longs et formels».
À vrai dire, ce format d’une heure trente de musique de chambre sans entracte ne m’a pas semblé spécialement original, par contre vive l’idée de demander à quelques grands solistes français de nous convier dans leur intimité musicale.
Henri Demarquette (dont le nom est associé notamment à Brigitte Engerer, Boris Berezovsky ou Michel Dalberto) constitue un excellent choix pour inaugurer ce concept, car ce merveilleux artiste de quarante-neuf ans n’est pas assez connu du grand public. Et pourtant, quelles voluptueuses, quelles chaudes sonorités il sait tirer de son violoncelle «le Vaslin», sorti des mains magiques de Stradivarius en 1725. Il suffit que le musicien saisisse son archet pour que nous reconnaissions à l’instant ce son bien à lui, apanage des grands artistes, et qu’il nous emporte vers des contrées connues de lui seul.
Pourtant ce n’est pas le genre à se pousser du col, et durant la soirée du 13 mars, j’ai trouvé qu’il avait tendance à s’effacer (un peu trop ?) devant ses amis, donnant une indéniable marque de générosité.
Pour commencer, un jeune homme s’est mis au piano, chemise blanche à col ouvert et sneakers blancs immaculés, pour improviser un hommage jazzy à Brahms, incluant moult variations sur les fameuses danses hongroises. Pianiste et compositeur, Thomas Enhco, l’air plus juvénile que ses trente ans, a paraît-il écrit ses premières compositions dès six ans, et vient de sortir un disque chez Sony mêlant classique et jazz. J’ai noté qu’il donnera le 21 mars un récital aux Invalides avec son frère trompettiste.
Après ces danses hongroises jazzy en clin d’œil au public, les deux amis interprètent le premier mouvement de la Sonate pour violoncelle et piano no 1 en mineur opus 38, puis laissent la place au second invité, le bien connu pianiste-compositeur français Jean-Frédéric Neuburger (né en 1986), pour l’Intermezzo opus 118 no 3.
Le jeune Thomas tourne les pages, Henri s’est assis sur le canapé à droite de la scène et applaudit beaucoup ses amis. Nous sommes entre complices.
Changement d’ambiance lorsque la jeune soprano Raquel Camarinha (belle brune de trente-trois ans) vient défendre des chants d’amour, histoire de rendre justice au grand compositeur de lieder nommé Brahms. Succès mitigé selon moi, car les lieder exigent une intériorité qu’il n’est pas facile d’installer en si peu de temps.
Puis entrée d’un cinquième complice, le violoniste chinois Dan Shu, pour le Trio numéro 2 en ut majeur pour piano et cordes, mais mon oreille est avant tout subjuguée par l’archet d’Henri soutenu par Neuburger, d’ailleurs dans ce morceau, le violoncelle précède souvent le violon.
Désormais bien intégrés au groupe d’amis, nous avons alors droit à une flopée de danses hongroises, les cinq musiciens s’en donnant à cœur joie et ne semblant pas vouloir s’arrêter, même si l’heure et demie annoncée se prolonge.
Pari réussi pour cette première de « Classic Band », tant on sentait, outre leur qualité, le plaisir partagé des interprètes ainsi que la générosité de l’hôte.
Et oui, j’ai aimé Brahms version musique de chambre à la mode Demarquette.
Ensuite, il a fallu affronter à nouveau les éléments déchaînés, le vent surtout, pour retraverser le pont reliant l’ile Seguin à la terre ferme de Boulogne, mais cette bourrasque, les lumières de la nuit sur la Seine sombre et mouvante, ne faisaient-elles pas, à leur manière, partie du spectacle ?
Hasard du calendrier, le lendemain jeudi 14 mars, Brahms nous conviait à nouveau au bord de la Seine, mais dans Paris même, au sein de la Maison de la Radio.
Signalons que ce site, tout comme d’autres, est menacé dans le cadre du très inquiétant projet municipal « Réinventer la Seine »: il s’agit de bloquer la vue entre la Maison Ronde et le fleuve en construisant sur un terrain public un bâtiment surélevé dont un parking.
Ignorant probablement la menace, le public se pressait du haut en bas de l’auditorium pour assister à un événement rare, celui du « Requiem allemand » de Brahms, œuvre à l’opposé de la musica da camera entendue la veille.
De façon plutôt amusante, le chef de l’Orchestre National de France, Emmanuel Krivine, affirmait dans le programme que la saison brahmsienne du National « est construite dans un esprit diététique : il ne faut fatiguer ni le public, ni les musiciens [….] ». Du Brahms certes, mais pas trop n’en faut, et pas « d’impératif intégrale ».
Tout en égrenant les quatre symphonies de septembre 2018 à juin 2019, le maestro donnait ce soir là ce requiem qu’on ne peut offrir qu’ici à Paris, avec le chœur de Radio France.
Chœur qui devait être au complet, car la masse des hommes arrivant des coulisses sur la droite et celle des femmes sur la gauche, toutes et tous vêtus de noir, et se plaçant derrière l’orchestre sur quatre demi rangs, constituait à elle seule un spectacle !
D’ailleurs dans cette œuvre, pas d’«Introït» jusqu’à l’«Agnus Dei» ou au «Libera Me» comme chez Mozart ou Verdi, et dans cette version, très peu d’interventions des deux solistes –baryton et soprane. Tout est affaire de chœur, Brahms ayant choisi d’illustrer des versets de la Bible en faisant résonner voix féminines et masculines dans un impressionnant dialogue constant.
Ovation à la fin pour le chef, l’orchestre, et la nouvelle cheffe de chœur, la slovène Martina Batic, dont c’est la première saison.
Lise Bloch-Morhange
Les principaux prochains rendez-vous du chœur sont la « Passion selon Saint-Mathieu » de Bach au Théâtre des Champs-Elysées le 19 avril, le « Te Deum » de Berlioz le 25 mai à la Philharmonie de Paris, et la « Messe Glagolitique » de Janacek le 20 juin à l’Auditorium.
Maison de la Radio, Orchestre National de France, Brahms, Symphonie No3, 6 juin 2019
Carte blanche aux frères Enhco, Festival Vents d’hiver, Musée de l’Armée, Cathédrale, le 21 mars
La Seine musicale, prochain « Classic Band » « Vanessa Wagner + guests », le 18 juin 2019
Dans « À Bout de souffle », Jean Seberg va interviewer « Monsieur Parvulesco » (Jean-Pierre Melville) qui arrive à Orly. Un journaliste pose la fatale question : « Aimez-vous Brahms ? » Parvu répond : « Comme tout le monde, pas du tout… »
Je crois que ce n’était pas Brahms qui était visé par le plus célèbre Grenoblois que-tout-le-monde-croit-Suisse, mais le livre de Sagan.
Le pire était à venir avec le film… Pourtant Anatole Litvak avait réuni Montand, Bergman (Ingrid) et Anthony Perkins… Malheureusement, ce n’était pas pour faire un chef d’oeuvre, comme Preminger (avec Deborah Kerr, David Niven et Jean Seberg) avait fait avec « Bonjour Tristesse », une oeuvre crépusculaire où Seberg est aussi magnifique que dans Sainte Jeanne et dans le film de Godard…
Cher Philippe,
J’ai sursauté en lisant Godard « le plus célèbre grenoblois que-tout-le-monde-croit-suisse ».
Le plus célèbre grenoblois n’est-il pas Stendhal, tout de même?
Godard n’y a vécu que de 1974 à 1978, après être né à Paris en 1930, puis direction la Suisse avec sa famille pendant la guerre et adoption de la nationalité helvète.
Je connais à Rolle, au bord du lac Léman, le café où il aime à venir…
Désolé Lise, je n’avais pas vu votre commentaire…
Je n’ai pas dit que Godard était le plus célèbre grenoblois, mais le plus célèbre grenoblois-que-l’on-croit-suisse…
La musique du film (un thème de la 3ème symphonie de Brahms) était bien choisie. Et la chanson « Quand tu dors près de moi » dont les paroles sont d’ailleurs signées de Sagan, reprend la même trame mélodique. Interprétée par Montand avec un accompagnement jazzy, elle nimbe d’un accent de nostalgie, l’atmosphère de toute cette époque…