Les divas demeurent les femmes les plus mystérieuses du monde…
Prenons la soprano Julie Fuchs, par exemple. Il suffit d’échanger deux mots avec elle pour se dire qu’elle est vraiment tellement simple, tellement chaleureuse. Pourtant ce n’est pas n’importe qui, puisqu’elle est, avec Sabine Devieilhe, l’une des deux plus grandes sopranos françaises du moment, chacune dans leur registre.
Bien sûr les divas d’aujourd’hui ne prennent pas de grands airs, elles sont sur Facebook ou Twitter et la trentaine venue, veulent un enfant, comme Sabine et Julie, et ne veulent ni routine, ni succomber à la pression des maisons d’opéra. Mais chacun de leur parcours comporte sa part de mystère.
Ainsi Julie Fuchs, belle jeune femme de haute stature, si directe, si naturelle, au timbre rayonnant, aux aigus lumineux, semble s’engager mine de rien, dans son dernier CD, par on ne sait quel mystère, sur de nouveaux chemins. Lors d’une soirée récente célébrant les 90 ans du label Decca, elle m’a raconté comment elle a été approchée à nouveau, fin 2017, par cet autre label prestigieux Deutsche Grammophon (DG et Decca ont pour maison mère Universal Classics), producteur de son premier disque intitulé « Yes». Elle prit alors conscience que les héroïnes pour lesquelles elle a une tendresse particulière sont des femmes malheureuses, souvent orphelines, mais sachant affronter leur destin et se révélant être « des battantes ».
À l’époque, la belle Julie triomphe à l’Opéra Comique dans « Le Comte Ory », où la comtesse Adèle se trouve en proie à la tentation et Julie à son affaire dans cette fable rossinienne endiablée. Or dans cet opera buffa créé à Paris en 1828, comme dans toute l’œuvre de Rossini, il s’agit de respecter les règles du « bel canto », ce « beau chant » raffiné aux règles très travaillées, fixé par les castrats du XVIIème siècle. Celui là même que la Callas remettra à l’honneur lorsqu’il aura été dévoyé par les excès du vérisme.
Les équipes DG se mettent à phosphorer, et peu à peu le projet prend corps autour de l’équation : orpheline si possible, bel canto 1815-1850, raretés. Car bien entendu toute diva rêve de découvrir des partitions oubliées, comme l’a si bien montré la mezzo virtuose Cecilia Bartoli qui en a fait son « fonds de commerce ». Et toute vraie diva ne cesse de vouloir explorer de nouveaux chemins, comme le dit si bien la Netrebko, la grandissime soprano dramatique : « Explorer ! Toujours aller de l’avant ! C’est plus fort que moi ! ». Certes on peut toujours s’en tenir à son répertoire ou à quelques opéras où l’on est en terrain sûr (comme le firent, entre autres, une Schwartzkopf ou un Pavarotti), mais attention, la routine pourrait s’installer, et rien ne serait pire pour Julie Fuchs « qui s’ennuie très vite » !
Grâce à la comtesse Adèle poursuivie par les assiduités du comte Ory, elle a bien senti qu’il fallait poursuivre sur le glorieux et aride chemin du bel canto, le plus exigeant, car il la fait évoluer, tout simplement. Et en écoutant ce nouveau CD dédié « aux pupilles du bel canto » (sic !), on se demande si cette modeste diva qui aime se définir comme un « soprano lyrique léger » ne serait pas en train de s’engager sur la voie royale des sopranos dramatiques, celle des grands rôles du répertoire. Depuis la naissance de son petit Dario, ne ressent-elle pas « les choses différemment » ?
Sur le disque, j’entends dans son timbre comme une noblesse nouvelle, depuis le premier air « Il faut partir » de Donizetti jusqu’à l’extraordinaire bonus tiré de « Maometto II » de Rossini, en passant notamment par quatre « world premiere recording ».
Autre chanteuse sachant nous surprendre, mais à un moindre titre, voici la jolie belge Jodie Devos et son « Offenbach colorature ». Il faut saluer son bel effort, en cette année où l’on célèbre le 200ème anniversaire de la naissance d’Offenbach, trop modestement à mon goût (voir mon article « Berlioz versus Offenbach »).
Non seulement la jolie Jodie puise dans des œuvres moins connues (tout comme la Fuchs s’est attachée à redécouvrir quelques merveilles belcantistes), mais même dans les plus célèbres, telles « Orphée aux enfers » ou « Fantasio », elle sait éviter les tubes.
Bien entendu, certains de ces tubes sont inévitables (telle la Barcarolle des « Contes d’Hofmann »), mais bravo à celle qui se lance dans « Boule de neige », « Vert-Vert », « Un mari à la porte », « Les bavards », « Mesdames de la Halle », « Le roi Carotte », « Robinson Crusoé», etc, dont les titres sont tout un programme et la musique merveilleuse.
Même moi qui suis rarement touchée par ces pures voix de soprano colorature trop légères à mon gré, je suis conquise par la qualité, la virtuosité, la finesse, et l’enthousiasme de la chanteuse, qui maintient bien haut le flambeau offenbachien.
Et je souhaite qu’elle puisse donner envie de remonter ces œuvres oubliées…
Actualité offenbachienne oblige, comment ne pas célébrer le dernier opus du jeune violoncelliste virtuose Edgar Moreau dont je vous ai déjà parlé (voir mes articles « Edgar Moreau Giovincello » et « Délices musicaux à la Maison ronde ») ? A force de le considérer comme un prodige il prend de l’âge, et le voilà qui porte allègrement ses vingt-quatre ans.
Bien sûr il s’inscrit dans la fameuse lignée française, puisqu’on s’accorde à parler de « la fameuse école française de violoncelle », comme si le gène se transmettait de génération en génération, jusqu’aux petits derniers comme Edgar, Victor Julien-Laferrière ou Camille Bertholet.
Mais je ne sais pas pourquoi Edgar Moreau m’a toujours semblé dans une catégorie à part, peut-être parce qu’il semble indifférent à son succès précoce et capable de supporter la pression d’une carrière internationale à son jeune âge. Quand on le félicite, il répond calmement qu’ayant commencé le violoncelle à quatre ans, il a vingt ans de métier, et aime à montrer qu’à force de travail, sa main gauche possède pratiquement une phalange de plus que l’autre.
Et puis, sagesse suprême, il sait préserver son plaisir, ce qu’il prouve one more time dans son dernier CD, ayant eu la bonne idée de ressusciter le « Grand concerto (« Concerto militaire ») in G major » d’Offenbach. Le « petit Mozart des Champs-Elysées » (Rossini dixit) n’était-il pas violoncelliste de formation ? Et pour corser son plaisir, le jeune Edgar s’est dit que ce serait amusant de mettre Offenbach en regard du compositeur autrichien contemporain Friedrich Gulda (1930-2000) pianiste, claveciniste, compositeur et amateur de jazz. Confrontation réussie et résultat très amusant, en effet !
Lise Bloch-Morhange
**Julie Fuchs CD « Mademoiselle », Deutsche Grammophon
En récital le 7 mars à la Philharmonie de Paris et le 9 mars au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence.
**Jodie Devos CD « Offenbach colorature », Alpha
**Edgar Moreau CD “Offenbach Gulda”, Erato
**Ne pas oublier en juin, Jacques Offenbach, Théâtre des Champs-Elysées « Maitre Péronilla » et « Madame Favart » à l’Opéra Comique.
Tout cela console du triste « environnement » mediatico-politique!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Grande envie d’acquérir ces CD
Merci Merci Merci
Ping : Ladies first | Les Soirées de Paris