Il est bien rare que la coïncidence préméditée de deux artistes occasionne un résultat aussi pertinent. En réunissant, pour une exposition qui débute aujourd’hui, Alexander Calder et Pablo Picasso, le musée Picasso a fait mouche. Il ne s’agit pas d’une énième exposition sur le chantre du cubisme heureusement. L’invité américain, presque son contemporain, a la part belle dans une présentation où les œuvres des deux protagonistes communient sans accrocs ni fausses notes. Pas de ruptures et encore moins -c’est à la mode- de disruption. Sachant qu’un hôte est aussi bien celui qui reçoit que celui qui est reçu, cette association relève à maints égards d’une sorte de palindrome en trois dimensions.
Alexander Calder est né en 1898 à Philadelphie aux États-Unis soit bien après Picasso qui était lui de 1881. Quand le premier débarque à Paris en 1929, il a déjà derrière lui sa première exposition personnelle à la Weyhe Gallery de New York. Mais c’est à la suite d’une rencontre avec Mondrian dans son atelier parisien que Calder comprend et adopte le principe de l’abstraction.
La rencontre entre les deux hommes qui occupent depuis aujourd’hui l’hôtel Salé a lieu lors d’une exposition de Calder en 1931 à la galerie Percier. Instinctivement ou bien informé, Picasso s’y rend et demande à le rencontrer. La même année Marcel Duchamp avise l’œuvre de Calder dans son atelier et au vu d’une sculpture motorisée, avance le nom de « mobile » en fusionnant l’idée de « motif » et de « mouvement ». Les réalisations de Calder et de Picasso auront d’autres occasions de se côtoyer, notamment en 1937 lorsque l’artiste américain présentera sa « Mercury fountain » à Paris dans le patio du pavillon espagnol à l’exposition parisienne des Arts et Techniques. Elle sera installée à côté du fameux « Guernica », c’est dire si le cousinage artistique s’imposait déjà.
L’exposition du musée Picasso présente d’ailleurs quelques œuvres plates dont l’étiquette détrompe parfois: on aurait juré un Calder alors que c’est un Picasso et inversement. En revanche les sculptures de l’américain sont suffisamment typées (comme cette femme ci-contre) pour les identifier facilement. Il est frappant de constater comme cette scénographie a été intelligemment pensée. Le regard du visiteur n’est contraint ni déçu par aucune distorsion, aucune facilité, aucun clin d’œil. Cent vingt œuvres sont ici réunies et l’on va de l’une à l’autre propulsé par une sorte d’accélérateur mental fort bien conçu.
Un vrai bonheur de voir comment Calder entendait combler le vide et l’espace avec au besoin une utilisation finement calculée de la couleur. Les rouges qu’il utilise ne sont pas sans rappeler ceux de Mondrian par leur puissance, leur netteté. La sobriété de ses réalisations à plat (huile ou encre) forcent l’admiration autant par leur sobriété que par leur esthétisme global. Par ailleurs son portrait de femme en trois dimensions à l’aide sauf erreur, de deux passoires métalliques accolées, n’est pas sans rappeler les digressions moqueuses dans ce domaine d’un certain Francis Picabia.
À noter que dès l’entrée, le visiteur est accueilli par 3 sculptures en fil de fer installées dans un volume de verre protecteur. Ce sont trois maquettes dont l’idée de départ était de commettre un hommage à Guillaume Apollinaire et dont personne n’a finalement voulu ce qui est infiniment regrettable. La version en dimensions potentiellement réelles qui a été réalisée par les élèves de l’École des maîtres ouvriers de la métallurgie de Longwy en 1985, a été installée dans le jardin de l’hôtel Salé. Ce qui peut nous permettre d’inférer que le vrai hommage à Apollinaire se situe au musée Picasso et non pas dans le square Laurent Prache de Saint-Germain des Prés avec une statue de Dora Maar qu’on ne confondra jamais avec l’auteur de « Zone ». Avec malice Picasso avait en fin de compte transformé un hommage à Apollinaire en hommage à lui-même et à une de ses amantes ce qui était un rigolo pied-de-nez à ceux qui avaient refusé son projet.
Ce faisant, le magnifique hôtel Salé accueille trois artistes majeurs et il faut saluer encore une fois le traitement conféré à cet Alexander Calder dont il nous est dit qu’il s’emparait « de la question du vide » avec de la « curiosité » mêlée « d’ambition intellectuelle ». Par les temps qui courent, l’on conviendra que ce n’est pas rien, à la limite de la transgression ou de l’outrage. Au sortir du bâtiment, une fois de retour dans la rue de Thorigny, on garde l’impression bienfaisante d’avoir déambulé sous une tente à oxygène, occurrence des moins courantes. Et nous manquions d’air, justement.
PHB
« Calder-Picasso » au musée Picasso jusqu’au 25 août
C très intéressant je vous souhaite bonne continuation