Hasard des anniversaires, nous allons célébrer cette année le 150ème anniversaire de la mort de Berlioz et le 200ème anniversaire de la naissance d’Offenbach. Allons-nous donc assister à une joute surréaliste entre des compositeurs qui n’ont rien en commun, à commencer par le tempérament ? Disons pour (beaucoup) simplifier que Berlioz fut notre Wagner, alors que Jacques Offenbach fut le plus français de nos compositeurs immigrés.
L’Opéra national de Paris a décidé de frapper un grand coup en inaugurant l’année avec ces « Troyens » qui ne furent jamais joués du vivant du compositeur, sans doute parce qu’ils se mesurent avantageusement avec les opus wagnériens de quatre ou six heures : dans la version actuelle de l’opéra Bastille, ils feront bien leurs cinq heures environ, deux entractes inclus et début à 18h.
Tout est symbolique dans le choix de l’actuel patron de l’Opéra national de Paris Stéphane Lissner : le bâtiment rond ultra moderne signé de l’architecte canado-uruguayen Carlos Ott fut inauguré (après divers scandales) place de la Bastille le 13 juillet 1989, et le grand opus berliozien fut le premier opéra donné in situ le 17 mars 1990. Par ailleurs Lissner donne cette précision dans le programme : « Quelques mois avant le décès de Pierre Bergé, survenue en 2017, je lui avais fait la promesse d’ouvrir l’année anniversaire de l’Opéra Bastille avec le rideau de scène de Tombly et « Les Troyens » » (rappelons que Pierre Bergé fut le premier patron en titre, nommé par François Mitterrand en personne, initiateur du projet de « démocratiser l’opéra », cette obsession permanente des beaux esprits).
L’atmosphère sera donc à la multiple célébration à Bastille, et si l’opéra national joue parfaitement son rôle en l’occurrence, les fantômes du passé ne seront peut-être pas si légers à conjurer pour les fans : ceux qui ont assisté à l’ouverture, il y a trente ans, se souviennent forcément, sinon de la mise en scène, en tout cas de la direction de maestro Chung et des deux divas américaines dans les rôles titres, Grace Bumbry dans celui de Cassandre, et Shirley Verrett dans celui de la reine Didon. Deux grandissimes mezzos. De pures légendes, dont l’âme flotte désormais sur la salle blanche et noire de 2745 places.
On pouvait difficilement faire mieux à l’époque, de même qu’on pouvait difficilement faire mieux lors des « Troyens » montés au théâtre du Châtelet en 2003 sous la baguette du berlozien chevronné John Eliot Gardiner (découverte de Anna Caterina Antonacci, Susan Graham, et Gregory Kunde). Et de même qu’on pouvait difficilement faire mieux, l’an dernier, dans l’enregistrement de concert Erato dirigé par l’américain John Nelson, dont je vous avais dit le plus grand bien (« Pépites musicales dernier cri », 5 février 2018) : distribution du plus haut niveau essentiellement yankee, avec Joyce di Donato en Didon et Michael Spyres en Enée. Cela fait donc trois distributions superstars avec lesquelles l’opéra Bastille va devoir se mesurer, forcément.
Celle qu’on nous propose à Bastille sera-t-elle à la hauteur ? On sera heureux en tout cas de retrouver dans l’un des deux grands rôles féminins, celui de Cassandre, notre mezzo française Stéphanie d’Oustrac que l’on a vu s’épanouir au cours des années. Longtemps abonnée au baroque qui façonne si bien les voix, elle a su superbement prendre son temps avant d’aborder un répertoire plus lourd.
On peut aussi compter sur cet autre interprète bien connu, le baryton français Stéphane Degout dans le rôle de Chorèbe.
Quant aux rôles titres de Enée et Didon, tenus par un Américain et une Russe, il faudra voir.
De même qu’on ne sait à quoi s’attendre de la mise en scène du russe Tcherniakov, présenté tout simplement comme « un génie » dans le programme. Certes on le dit et le répète : avec le polonais Warlikowski, ces deux « petits génies » venus de l’Est ne cessent, depuis une dizaine d’années, de « révolutionner » les scènes lyriques. Et Dmitri Tcherniakov, génie ou pas, a connu de belles réussites comme dans le doublé de Tchaïkovski « Iolanta-Casse Noisette » à l’opéra Garnier en 2016.
Mais saura-t-il attraper la fibre berliozienne, alors que le chef maison, Philippe Jordan, confesse avoir mis du temps à apprivoiser cette musique foisonnante ?
Effectivement, la partition est merveilleuse, tantôt poétique, tantôt grondante, toujours nouvelle, toujours bouleversante…. car cette adaptation de « L’Enéide » de Virgile, en vers s’il vous plaît, Berlioz en rêvait depuis toujours, c’est vraiment l’œuvre de sa vie. Et les chœurs ! Et l’un des plus beaux duos d’amour de l’opéra « Nuit d’amour et d’extase infinie » !
Tandis que Berlioz se débattait dans des échecs successifs, dont celui des « Troyens » (donné très partiellement en 1863), Jacques Offenbach, baptisé « Le Mozart des Champs Elysées » par Rossini, volait de triomphe en triomphe dans les années 60, avec « Orphée aux Enfers » (1858) suivi de « La belle Hélène » (1864) (et autres merveilles comme « La vie parisienne », « La grande duchesse de Gérolstein » et « La Périchole », que notre diva Régine Crespin interprétera avec délectation un siècle plus tard).
Et autant Berlioz tentait de saisir l’essence même d’une antiquité réinventée, toute de poésie shakespearienne, autant Offenbach détournait l’antiquité pour se moquer de son temps.
Ce faisant, il invente l’opéra bouffe, à ne surtout pas confondre avec l’opérette. Ses livrets comme sa musique sont d’un grand raffinement, car pour bien se moquer, il faut très bien connaître… Il saisit l’esprit de son temps et le génie de la langue française comme seul un étranger peut sans doute le faire.
N’oublions pas qu’il est né à Cologne d’un père chantre de synagogue, qui le conduisit à Paris en novembre 1833, à 14 ans donc. Violoncelliste virtuose, Jacob s’ennuie vite au Conservatoire, puis à l’Opéra Comique, où il se fait remarquer par son goût pour les farces. En août 1844, à 25 ans, il épouse à l’église Saint-Roch Herminie d’Alcain, 17 ans, après s’être converti au catholicisme. L’heureux mariage durera leur vie entière, en dépit des liaisons bien connues du maître avec les mezzos Hortense Schneider et Zulma Bouffar, ses interprètes superstars.
Heureux celles et ceux qui vont découvrir, ou redécouvrir, cette année, les grands opéras bouffe de Jacob devenu Jacques, que ce soit dans les salles ou au disque. Disons que l’atmosphère ne semble pas très offenbachienne, ces temps ci, et il faudra attendre le mois de juin pour voir célébrer le bicentenaire, de façon modeste, sur de grandes scènes parisiennes, à l’Opéra Comique et au Théâtre des Champs-Elysées. Pour les CD et les DVD, il faut se reporter à la grande période fin 1990-années 2000, avec les enregistrements détonants de maestro Marc Minkowski.
Lise Bloch-Morhange
Opéra National de Paris « Les Troyens » Berlioz, 25, 28, 31 janvier, 3,6,9,12 février 2019
www.operadeparis.fr
Théâtre des Champs-Elysées, Paris, «Maître Péronilla », 1er juin 2019
www.theatrechampselysees.fr
Opéra Comique, Paris, « Madame Favart » Offenbach, 6 représentations du 20 au 30 juin 2019
www.opera-comique.com
Philharmonie de Paris, « Année Berlioz », 30 concerts de janvier à juin www.philharmoniedeparis.fr
Très aguichante annonce pour les amateurs!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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