Disparu il y a vingt ans, Gustave-Arthur Dassonville fait partie de ces personnages que l’on regrette de ne pas avoir connus de leur vivant. Seuls quelques historiens contemporains ou quelques sympathisants des mouvements libertaires connaissent le nom de ce personnage singulier (croqué ci-contre par le dessinateur Barberousse) né près de Valenciennes en 1913, qui fut pendant plus d’un demi-siècle le seul auteur, le seul imprimeur et le seul distributeur d’un petit journal au titre explicite « Le Brûlot » . Il a 22 ans lorsque sort le premier numéro, vendu sur abonnement. Jean Galtier-Boissiere, le fondateur de Crapouillot, figure parmi les premiers abonnés.
Le titre de cette revue de tout petit format (8 ou 10 pages), a été choisi « pour mettre le feu au poudres, à celles qu’on nous jette aux yeux ». Le Brûlot fera donc feu de tout bois, et s’intéressera à l’actualité la plus large pour dévoiler les injustices petites ou grandes ou les scandales, et d’une façon générale, dénoncer tout ce qui porte atteinte à la liberté individuelle. En 1968, peu après les événements du mois de mai, et à l’occasion de la parution du numéro 50, il attaque frontalement le gouvernement dans ce qu’on peut considérer comme une profession de foi (« Ni dieu ni maître ») : « Le désordre, maladie honteuse de l’étatisme n’a rien de commun avec l’anarchie, forme achevée de l’ordre … Croit-on que l’ordre libertaire supporterait les guerres, les déportations de populations, la destruction massive de stocks de denrées alimentaires ?»
De Gaulle et la cinquième République subissent ses foudres. La cinquième République, «c‘est quelque chose d’indéfinissable, sinon d’innommable, un bidule, une sorte de truc fait de pièces, de morceaux choisis tirés de l’antique, de discours et actes qui se contredisent, un château de cartes biseautées bâti sur la parole et étayé par les chars, les matraques et les grenades à gaz des mercenaires .» Rien ni personne ne trouve grâce aux yeux de ce vieux ronchon, pas plus Malraux qui publie dans le même magazine que Ménie Grégoire, ou Aragon qui accepte d’être académicien Goncourt, que Jules Verne, qualifié de raciste pour son roman « Les naufragés du Jonathan ».
Sans jamais se départir de son côté libertaire, sans rien perdre de sa violence, en somme… sans rien céder, Le Brûlot paraitra de façon régulière, chaque mois, jusqu’en janvier 1998. Dans le dernier numéro, Dassonville dénonce la situation de la Corée du Nord, met en garde contre le danger du nucléaire, et souligne la montée de l’intégrisme religieux.
Outre son goût irréductible pour la justice et la liberté individuelle, Gustave Arthur Dassonville nourrissait une grande passion pour l’édition, la bibliophilie et d’une façon générale tout ce qui se rapportait à l’écrit. Dans sa bibliographie, qu’il rédigea lui-même, on trouve un nombre impressionnant de petites plaquettes plus ou moins artisanales, parfois illustrées par de grands artistes comme Max Bucaille, Mario Avati ou Sonia Delaunay qui lui offrit une lithographie pour la couverture du numéro 33. On doit aussi à Dassonville d’avoir établi le catalogue des éditions du célèbre imprimeur François Bernouard qui demeure un précieux document de travail pour les libraires. Le même goût pour les éditions rares le poussa à éditer un certain nombre de cartes postales dont certaines se veulent à message, comme le détournement de l’affiche d’un parti politique réclamant des adhésions : « Décollez vous » répond Dassonville…
Le pamphlétaire s’éteignit en janvier 1998, à l’âge de 84 ans, peu après que les abonnés aient reçu le 350e et dernier numéro de sa revue. S’il n’accepta jamais de travailler autrement que seul, c’était aussi « pour n’avoir plus à subir les ciseaux des censeurs » .
Gérard Goutierre
Merci Gérard de me faire découvrir cet heureux homme !
J’ai moi-même fait un journal tout seul, le « Person Magazine ». Il y a eu 35 numéros entre 1999 et 2003 et j’ai été tué par les blogs…
Car, si j’avais des abonnés et des supporters (150 abonnés et un tirage de 200 exemplaires par numéros. J’avais constamment des gens qui me disaient : « Pourquoi tu ne fais pas un blog ? » ou pire « tu fais toujours ton blog de papier ? »…
L’ami Dassonville avait la chance d’être à l’ère du journal-roi !
J’ai reçu d’autres journaux faits par des solitaires. Je mentionnerai le « Tigre de Papier » qui était un très bon petit journal. Et tout naissant, peut-être le successeur du « brulôt » de Dassonville, « Fakir » de François Ruffin. Je me souviens des premiers exemplaires de son journal où il se battait contre le maire d’Amiens Gilles de Robien… Celui-ci lui fit procès sur procès… et les perdit tous. On pense ce qu’on veut de Ruffin, mais l’auteur du pamphlet contre la soumission des journalistes dès le SNJ (« Les petits soldats du journalisme ») a un sacré talent ! Bien plus grands que les encravatés qui pensent qu’une cravate fait le talent politique… Vive Dassonville !
Le croquis de Barberousse conforte splendidement le portrait dressé par Gérard. Les ronchons pullulent sur Twitter mais il leur manque cette constance dans la manière…