Au bord du fou rire, au moins très satisfait, Silvio jure devant un président de la république italienne atterré qu’il respectera la constitution de son pays. Ce sera son dernier mandat. Un peu avant cette séquence il marche dans le parc de sa somptueuse villa au milieu des robots qui tondent silencieusement la pelouse. Il croise un mouton et lui dit « au fait je suis bien désolé pour ta belle sœur« . Laquelle est décédée croit-on comprendre, d’un excès de climatisation à l’entrée d’un living-room au luxe clinique. Et puis plus tard, une jeune fille confie son embarras de sa proximité avec celui qui aime tant s’entourer de femmes quand il ne dirige pas l’État italien. Elle lui explique entre autres choses que son haleine lui rappelle celle de son grand-père.
Bien plus jeune (59 contre 82) que Berlusconi, bien plus grand (1,81 m contre 1,65 m), Toni Servillo n’en campe pas moins son personnage avec une rare adresse et un confondant mimétisme. Quant à Paolo Sorrentino le réalisateur, il nous emmène dans les coulisses à peine secrètes de celui qui fut trois mandats de suite président du Conseil des ministres de la péninsule italienne. Il nous oblige à plonger dans un monde où la corruption se pratique au moyen de jolies filles.
Silvio n’apparaît pas tout de suite. Le film nous présente d’abord un jeune homme d’affaires soucieux d’emporter un marché des cantines scolaires dans la région des Pouilles. Pour ce faire il mobilise une jeune femme sur un bateau qu’il « offre » à celui qu’il veut corrompre. Lors d’une scène sexuelle très crue la caméra fait un focus sur le bas du dos de la prostituée où l’on distingue tatouée l’effigie de « Il cavaliere ». Ce qui semble-t-il indique au corrupteur la balise suprême qui le mènera vers la réussite sociale. Pour Sergio Morra (joué par Riccardo Scamarcio), il va s’agir alors de réunir suffisamment de femmes pour accéder, le pense-t-il, au cercle étroit de Silvio Berlusconi.
Sexe, drogue, décadence, villa de luxe, voilà comment se compose le piège qui ne fonctionnera pas parfaitement. Car lorsque Sergio Morra se penchera vers l’oreille de Silvio pour lui soumettre son souhait de devenir député européen, le vieux matou de la politique italienne, le vieux beau ayant construit un empire médiatique à partir d’une modeste télévision locale, lui répondra presque peiné, que sa demande ne pourrait que gâcher une soirée aussi réussie. Avec sa partenaire, Sergio Morra se demande alors, à partir de quel moment ils ont loupé le coche. Ils ont attiré la proie mais la prime leur a échappé.
C’est aussi la question que peut se poser le spectateur à l’égard du réalisateur. Car jusqu’à un certain point il est permis de s’amuser de cette débauche qui n’est pas sans rappeler certaines scènes de la « La grande belezza » autre titre de Paolo Sorrentino. Mais alors que dans « La grande belezza » sa caméra nous baignait dans le monde déliquescent d’une certaine intelligentsia romaine combinant l’art, l’argent et les idées de gauche, un cocktail souvent réjouissant encore que lardé de quelques longueurs, le film « Silvio » nous impose au contraire -mais c’est bien le propos- une vulgarité qui finit par lasser. D’une certaine façon, le sujet fonctionne si bien qu’il corrompt tout. Même le talent de Toni Servillo y passe, sans compter celui des nombreuses jeunes femmes qui ont été obligées d’interpréter des groupies écervelées. Même avec le prisme du second degré, l’histoire finit par fatiguer.
On ne peut s’empêcher en outre d’éprouver une certaine consternation à l’égard de ce grand pays qui aurait sans doute mérité quelqu’un de mieux à sa tête. Quand on pense à la classe naturelle d’un Mario Monti (qui succéda pour deux ans à Silvio Berlusconi à partir de 2011), quand on songe à sa hauteur de vues sur l’Europe, à la sobriété de son comportement, le contraste est saisissant. Et finalement, si ce film comporte de nombreuses scènes drôles, si le personnage de Berlusconi est incroyablement bien dépeint, une impression de désolation émerge. Que n’adoucira évidemment pas le tandem qui tient actuellement le pouvoir de cette Europe méridionale.
PHB
On n’ose imaginer comment Sua Emittenza avait obtenu, contre toute attente, la concession de la Cinq dans la France des années 80 qui se lançait dans la télévision privée…