Celui-là a échappé aux tronçonneuses. Il est désormais isolé en haut d’une colline pelée. Sur les fondations précaires d’une ancienne carrière, il existe à proximité de Paris un bois sauvage qui a poussé librement. Très exactement à cheval sur les communes de Romainville, Pantin, Les Lilas et Noisy-le-Sec mais plus largement sur Romainville, sa faune et sa flore ont d’autant plus prospéré depuis plusieurs dizaines d’années que le lieu était fermé au public. Le projet de créer une base de loisirs sur huit hectares de pourtour suscite la réprobation des associations. Et les travaux ont commencé. Sur les 27 hectares de bois il ne devrait donc en rester que 19 à l’état naturel.
On en fait facilement le tour à pied. Il suffit de partir de la mairie de Romainville et de traverser le cimetière qui descend en gradins. Une petite route en bas, bordée de quelques vieilles maisons, entoure ensuite l’ensemble. Et ce qui frappe tout de suite en ces journées d’automne, c’est l’odeur d’humus qui se dégage du bois. Un parfum qui s’exaspère de sa fin prochaine. Des panneaux indiquent qu’il est interdit d’y pénétrer car les anciennes galeries ne sont pas sûres et il y a paraît-il un risque d’effondrement.
Tout une batterie d’éléments de langage a été mise en place par la Région Île de France qui finance et la mairie de Romainville, afin de damer le pion aux contradicteurs. Le projet de tonsure de la périphérie du lieu se veut écologique avec les inévitables moutons qui seront recrutés en mission « d’éco-pâturage ». Une promesse de sanctuarisation de la partie sauvage est mentionnée avec prière de l’avaler comme une hostie sacrée.
Lorsque l’on se promène dans Romainville, on voit bien que la cité subit déjà la pression du grand Paris dans la foulée du prolongement de la ligne 11 laquelle jusqu’à présent ne dépassait pas la mairie des Lilas. Les chantiers y sont nombreux, des pavillons disparaissent au fond de trous béants. Tout cela illustre un Paris qui se dépeuple de ses classes moyennes en raison d’une pression immobilière objectivement hors de contrôle.
Lorsque l’on regarde les vieilles cartes postales du début du 20e siècle, ce site de Seine-Saint-Denis était essentiellement rural. Les carrières étaient déjà là mais aux alentours c’était un mélange heureux de campagne et de banlieue tout juste naissante. Et puis avec l’abandon des carrières une petite forêt est donc apparue. Des hôtes comme des « renards, hérissons, écureuils roux, lézards des murailles, orvets, fouines, musaraignes, pics épeiche, buses, plusieurs espèces de chauve-souris et des fauvettes à tête noire » répertoriés par « Les amis de la Corniche des Forts » (1) ont fini par s’y installer durablement. Ce qui fait qu’à deux kilomètres de Paris seulement s’était ainsi redéveloppé une sorte de réserve naturelle, oubliée des prédateurs immobiliers.
Et c’est vrai qu’à l’heure où il est reconnu que la forêt représente la meilleure arme pour rendre l’air meilleur et concourir à une bonne régulation thermique de l’atmosphère, l’idée consistant à amputer largement un trésor miraculeusement sauvegardé apparaît aberrant. On a beau jeu d’aller crier à la déforestation de Bornéo ou de l’Amazonie ou de s’attrister telle la Pietà de Michel-Ange sur l’urgence climatique et d’agir par ailleurs avec une si grande incohérence.
Gageons qu’avec ce type de posture suicidaire, c’est la nature qui reprendra un jour ses droits une fois que l’humanité se sera définitivement intoxiquée dans ses chimères d’organisation durable contrôlée par l’intelligence artificielle. Voilà bien un endroit qui se végétalisait tout seul avec un savoir inné, une science écologique allègre et autonome. De toute évidence, l’idée était intolérable. Il fallait que l’on s’en mêlât.
PHB
La nature n’abandonne jamais complètement ses droits. J’ai habité à Seoul sur la rive sud du fleuve Han dont les Coréens disaient avec la fierté de la croissance accomplie que personne ne se souvenait que 20 ans auparavant ce « business district » était un immense marécage. En fait, si : tout le monde s’en souvenait parce que les moustiques, eux, n’avaient pas déménagé et qu’ils se régalaient de cet afflux de population humaine. Aujourd’hui à Bangkok, grand terrain de jeux des promoteurs immobiliers, une procédure contentieuse a contraint à l’abandon d’une nouvelle tour dont les fondations étaient juste construites. Aujourd’hui, le terrain devenu d’abord vague, se transforme en zone humide, flore et faune à l’appui. A la tombée de la nuit, les grenouilles chantent presque aussi fort que les moteurs des tuk-tuk !
Dans une nouvelle de « Solitude de la pitié » intitulée « Destruction de Paris », Giono imaginait « …le jour où les grands arbres crèveront les rues, où le poids des lianes fera crouler l’obélisque et courber la tour Eiffel; où devant les guichets du Louvre on n’entendra plus que le léger bruit des cosses mûres qui s’ouvrent et des graines sauvages qui tombent; le jour où, des cavernes du métro, des sangliers éblouis sortiront en tremblant de la queue. »
Vive les « moutons recrutés en mission d' »éco-pâturage » »! Ah s’ils savaient…