«Sous le pont Mirabeau coule la Seine, et nos amours…». Les ponts sont décidément des constructions bien romantiques. La Seine coule aussi sous le pont d’Issy ou plutôt «dessous» le pont qui relie les rives droite et gauche de la Seine, et Issy les Moulineaux à Boulogne. Pour les ingénieurs, les ponts ont un «tablier», une «jupe» et des «piles». Le pont d’Issy lui, a ses «dessous chics». C’est le nom incongru au premier abord que Claude Lévêque a choisi de donner à sa réalisation «in situ», en référence à la sublimissime chanson de Serge Gainsbourg au titre éponyme. Un titre qui évoque «… la pudeur des sentiments/Maquillés outrageusement/Rouge sang …». Un éclair de néon rouge sang donc fixé immédiatement sous le tablier du pont qui enjambe le fleuve et le fait rougeoyer, comme un signal, comme un flambeau d’un genre nouveau, comme un soleil couchant.
Le travail commandé par le Conseil Général des Hauts de Seine s’est échelonné pendant 6 longues années de réalisation et est enfin achevé en dépit des tracasseries multiples et variées de l’administration des VNF (Voies Navigables de France). Il s’inscrit dans le programme de reconquête des berges de la Seine mais aussi dans une vaste ambition architecturale et artistique du département avec l’équipement de la Seine musicale ponctué d’un parcours d’œuvres d’art contemporaines : le «Pouce» de César (voir plus bas) est installé à l’entrée de la Seine Musicale, non loin de la «Tour aux figures» de Jean Dubuffet de l’île Saint-Germain que l’œuvre de Claude Lévêque semble annoncer comme un symbole de la «vallée de la culture».
Dans ses réalisations en néon précédentes, Claude Lévêque emprunte souvent l’écriture tremblante d’enfants ou de proches. Pour «Les Dessous chics», c’est Romaric Étienne qui a dessiné les lignes composant le profil de paysage que semble composer ce trait. D’aucuns y verront de façon plus prosaïque les cours chahutés de la bourse ou un électrocardiogramme géant ou encore l’immense tutu d’une danseuse étoile. C’est tout l’intérêt de ce geste : chacun pourra y voir ce qui l’arrange selon ses fantasmes et sa culture. Pour Claude Lévêque c’est «la vision panoramique du pont dans le contexte urbain de chaque rive qui a déterminé la forme de l’œuvre». Une création qui se situe dans la continuité de ses interventions précédentes au musée du Louvre dans la Pyramide et les fossés médiévaux en 2014 et 2015.
Un geste artistique à la visibilité infinie destiné au plus grand nombre de passants et qui répond à la volonté des édiles municipaux qui croient en l’importance de l’intervention des artistes et des architectes pour embellir la ville, la valoriser et favoriser son appropriation par les habitants. Avec «Les dessous chics» l’intervention magistrale de l’artiste a sublimé un ouvrage d’art pour en faire une œuvre d’art. La banlieue Ouest entend bien, avec ce geste fort, rivaliser désormais avec Paris sur le terrain du glamour et de la poésie.
Marie-Pierre Sensey
Les sans-abris couchant là dessous pourront au moins faire des économies de bout de chandelle tandis que les centrales nucléaires fonctionneront, elles, encore un peu plus pour fournir cette énergie… lumineuse !
Merci pour cet article intéressant (comme toujours) sur cette initiative éclairante.
Par contre je trouve que la Seine Musicale aurait pu choisir une oeuvre originale d’un artiste vivant et non ce pouce, dont le rapport à la musique me paraît futile et qui a été vu et revu, même si j’aime beaucoup l’oeuvre de César. Le bâtiment moderne et fonctionnel aurait mérité cela, les artistes vivants aussi.