Coïncidences éparses

Ce carton de la taille d’une carte de visite est une rareté. Il vante les services de l’Austin’s Railway restaurant et hôtel au 26 rue d’Amsterdam sis à côté de la gare Saint-Lazare. C’est ici qu’un jour de février 1905, Guillaume Apollinaire et Pablo Picasso se sont rencontrés avant de former une amitié durable sur fond d’échanges artistiques intenses. La même image figure dans l’album de la Pléiade consacré à Apollinaire mais elle y ressemble davantage à une feuille à en-tête. Les mentions indiquent que l’on y parlait anglais, allemand et que l’on y servait des english breakfast. Il y avait l’électricité et des salles de bain.  Au dos figurait un plan du quartier.

Un jour, un voyageur inconnu de passage à Paris a probablement mis cette carte dans sa poche et au bout d’un certain nombre de pérégrinations et de détenteurs  inconnus, elle a fini par atterrir à Folsom en Californie. Et pour 14,50 dollars, au début du mois de septembre 2018 , elle est revenue en France, au terme d’une jolie parabole transatlantique, faire la joie d’un collectionneur épris de ce genre de reliques. À noter que l’établissement n’existe plus. Il est actuellement divisé entre un hôtel et une brasserie.

Dans la catégorie étrangetés reçues par la poste et dénichées sur Ebay figure aussi (en provenance d’Islande) cette photographie assemblant des motifs attribués à Picasso, justement. Elle a été prise en 1984. Annoté, le tirage montre un cadre juxtaposant sur une toile différents éléments dont en bas à gauche, un dessin qui fait l’objet d’une mince coupure de presse collée au verso. Et qui mentionne « in three dimensions and two: Project for a monument to Guillaume Apollinaire left, and The Studio 1927-8 ». Selon le site du MoMa, l’œuvre s’intitule « The studio ». Elle a été exposée une première fois en avril 1936 après un don d’un certain « Walter P. Chrysler, Jr » et au moins une dernière fois en 1983, toujours au Museum of Modern Art d New York lors d’une confrontation entre Miró et Picasso. D’où on pourrait en déduire que cette photographie glanée sur Ebay a été prise à ce moment-là.

Picasso. « The studio » Tirage photo. Coll. PHB

Ce qu’il y a de sûr c’est que l’esquisse en bas à gauche représente bien ce qui allait devenir une structure métallique représentant Guillaume Apollinaire. Elle a déjà été montrée en plusieurs dimensions mais n’a jamais été retenue pour lui rendre hommage. C’est la statue de Dora Maar par Picasso qui fait office de monument dédié à l’écrivain dans le petit square qui jouxte l’église Saint-Germain des Prés à Paris. Ce qui est une aberration chronologique puisque Apollinaire n’a jamais connu Dora Maar. Il n’en reste pas moins que cette œuvre composite que l’on découvre sur cette photographie est très attachante à l’œil avec une modernité d’ensemble absolument pas périmée.

Ces coïncidences éparses témoignent de cette amitié qui liait les deux hommes, malgré les avatars inévitables de la vraie vie. En 1918, Picasso s’en est trouvé orphelin. Lui a vécu jusqu’en 1973 et son médecin assura que sur son lit de mort, figurait parmi les derniers mots de l’artiste, le nom d’Apollinaire. L’amitié ne s’éteint que lorsque le dernier des combattants est mort. Mais tant les lettres, poèmes et œuvres artistiques qu’ils ont laissés, perpétuent ce lien sur terre. Les fibres immatérielles de cette relation continuent peut-être de s’assembler ailleurs mais Dieu seul sait où.

 

PHB

On peut voir la maquette agrandie du projet de Picasso dans le lien suivant lequel en contient un autre en bas de page sur l’étonnant destin (raconté par Gérard Goutierre) de la statue représentant Dora Maar.

« The studio » sur le site du MoMA

 

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2 réponses à Coïncidences éparses

  1. Marie J dit :

    Et pour ceux qui voudraient en savoir plus sur les repaires parisiens d’Apollinaire, notez que Philippe Bonnet, l’animateur des Soirées de Paris qui régale nos matins, signera samedi 29 septembre son livre « Apollinaire, portrait d’un poète entre deux rives » à la galerie « D’un livre l’autre », 2 rue Borda dans le 3eme arrondissement de Paris, entre 17h et 21h. La modestie de Philippe méritait cette petite page de publicité… Bruno Sillard dans sa chronique du 5 juin dernier y avait déjà contribué.

  2. Didier D dit :

     » D’un livre l’autre »…
    Je connaissais :
    Marcel Adéma , « Guillaume Apollinaire le mal-aimé « , Plon, 1952 .
    Le chapitre « 1912-1913 » y relate les circonstances de la création de la revue les Soirées de Paris. Le sommaire du numero 18 est reproduit ; Picasso, déjà.
    J’ai hâte de lire l’Apollinaire de Philippe Bonnet.
    Merci Marie J, de ces précisions.

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