C’est incroyable mais elle est toujours là. Année après année cette vespasienne du boulevard Arago, au pied de la prison de la Santé rénovée, est toujours debout. A l’heure où les « uritrottoirs » écologiques de la mairie de Paris font polémique, au moment où les kiosques haussmanniens cèdent la place à des caissons modernes mais justement équipés de toilettes, elle fait encore le soulagement des hommes, du moins ceux qui n’ont pas les narines trop délicates. Ce vestige de l’histoire (les premières sont apparues début 19e) qui ne cesse de déployer ses bras, est dans un triste état. Elle est qui plus est orpheline, depuis que sa cousine de l’avenue de Versailles, à l’autre bout du pont Mirabeau, a disparu. Un bon coup de pinceau ne lui ferait pas de mal.
En plus de ses fonctions officielles destinées à limiter les épanchements sauvages, celle-là est réputée avoir été un point de rendez-vous clandestin durant la Résistance. Avec la paix revenue, elle faisait aussi office comme ses consœurs, de lieu idéal pour les plaisirs louches et déviances diverses. Il paraît qu’elle recevait encore il y a peu la visite d’un exhibitionniste très âgé. Mais depuis que l’antique voyeur qui lui donnait la réplique est mort, le premier s’est découragé. D’autant qu’il ne pouvait plus s’y rendre que péniblement, à l’aide d’un déambulateur dont le grincement des roulettes nuisait aux déplacements furtifs.
Disons tout net qu’à ce stade, cette vespasienne mériterait d’être rénovée. Elle symbolise un service qui ne fonctionnait pas si mal tandis que depuis, rien de vraiment satisfaisant n’a été mis sur pied. Des sanisettes Decaux trop rares et pas toujours en état de marche, des ready-made glamour (ci-dessous) aux dernières choses en date surmontées d’un bac à fleurs, le problème reste imparfaitement résolu. Pourtant il fut une époque où la vie était plus simple. En témoignent les splendides toilettes Art nouveau abandonnées place de la Madeleine. Il y avait de vraies cabines avec des portes en bois vernis et l’endroit richement décoré faisait au moins vivre un employé. Mais elles ont été fermées au public en 2011 par une mairie qui misait alors sur le déploiement massif des sanisettes auto-nettoyantes et sans personne à l’accueil. Force est de constater -à l’odeur- que le pari n’est pas gagné, au contraire des jeux olympiques qui coûteront aux citoyens et pour une période très réduite, de quoi subvenir pour longtemps aux besoins naturels des Parisiens et Parisiennes dans des conditions décentes voire confortables.
Comme le boulevard Arago est joli en cette fin d’été, cette ultime vespasienne garnie d’affichage sauvage est un bon motif de promenade. Avec un peu de recul on peut apercevoir les nouvelles façades de la prison où les pensionnaires méditent derechef sur leur sort dans des cellules toutes neuves. Une situation qui pouvait également, ce mercredi 12 septembre, donner de quoi réfléchir aux deux sans-abri qui campaient en face avec des cartons de fortune. Rien de tel que la présence d’une prison en tout cas pour prendre conscience de ce bien inestimable qu’est la liberté d’aller où bon nous semble. Comme celle de redécouvrir un peu plus haut le jardin de l’observatoire qui a rouvert cet été après avoir été interdit d’accès pour cause de terrorisme. De surcroît il est traversé par le fameux méridien qui coupe la France en deux. L’expérience est totalement indolore et inodore.
PHB
La liberté d’aller où bon nous nous semble ?
Au Parc Georges Brassens, vérifier que la personne à l’accueil des toilettes publiques
s’y tient comme jadis ou naguère(s) .