Retour à l’hôtel Mezzara

L’an dernier à la même période, je vous avais signalé l’exceptionnelle exposition organisée par Le Cercle Guimard à l’Hôtel Mezzara, intitulée «Hector Guimard précurseur du design», célébrant le 150ième anniversaire de la naissance du grand architecte mort aux États-Unis en 1942 ( article publié le 27 septembre 2017 ).
Association remarquablement active fondée en 2003 notamment par de jeunes architectes bénévoles, Le Cercle Guimard renouvelle cette année l’expérience à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine 2018, mais cette fois, vous n’aurez que deux jours, les 15 et 16 septembre, pour revenir dans les lieux ou les découvrir.

Il s’agit de l’un des rares lieux parisiens Art nouveau à peu près laissé «dans son jus» dans ce quartier d’Auteuil qui alors en pleine transformation, vit naître les premières réalisations du jeune Guimard inspirées par sa rencontre avec Victor Horta à Bruxelles (une douzaine ont été détruites !): le Castel Béranger, édifié entre 1895 et 1898 sur 700 mètres carrés au 14 rue La Fontaine devenue 16 rue Jean de La Fontaine (ne pas manquer de jeter un coup d’œil, depuis la rue, au bizarre assemblage décoratif des façades) suffit à établir sa gloire instantanée parmi la petite comme la grande bourgeoisie locales. On peut encore voir aujourd’hui dans le quartier quelque dix-sept hôtels particuliers ou immeubles portant sa signature, sans compter les huit entrées de métro encore préservées.
C’est ainsi qu’un de ses amis, Signor Mezzara, un industriel du textile d’origine vénitienne, lui demande en 1910 de dessiner son hôtel particulier un peu plus loin au 60 rue La Fontaine, sur deux étages. Hélas l’industriel vénitien devait divorcer deux ans plus tard, et son ex épouse s’empresser de louer les lieux.

Mais par miracle, au cours des décades, malgré certaines transformations, l’essentiel du décor a été préservé, à commencer par la façade légèrement en retrait et assez discrète, pas trop modifiée et étouffée par les bâtiments modernes qui l’entourent.
À l’intérieur, les proportions sont à la fois élégantes sans être immenses, et dès le grand hall de sept mètres de hauteur servant de show room au Vénitien, on est frappé par l’unité stylistique et décorative qui constitue l’un des bonheurs de l’Art nouveau. Sur la gauche, splendide escalier à la ferronnerie florale éclairé par une verrière arrondie aux teintes délicates; devant soi, le «grand salon» ouvrant sur un jardin par six pans de fenêtre, et sur la gauche, dans une alcôve, la salle à manger rigoureusement «d’époque», mobilier et décor champêtre au mur compris.
Comme je l’écrivais l’an dernier «La moindre fenêtre, la moindre porte, le moindre bouton participent de l’harmonie», et on se demande par quel miracle, en effet, les habitants successifs ont respecté et préservé proportions et décor.

Peut-être est-ce dû au fait que le dernier occupant fut l’Éducation nationale (à partir de 1956), qui a libéré les lieux en 2015. Depuis, l’Hôtel Mezzara est devenu la propriété de France Domaine qui l’a retiré de la vente en 2016, et le Cercle Guimard chérit l’idée de convaincre toutes les autorités concernées d’en faire une Maison- Musée dédiée à l’Art nouveau parisien, à l’instar de la Maison-Musée Horta à Bruxelles ou de la Casa Vicens de Gaudi à Barcelone.
Les membres du Cercle sont fortement encouragés par le «succès immense» de l’exposition de l’an dernier auquel ils ne s’attendaient pas (quelque 13 000 visiteurs), en particulier par l’afflux de riverains venus et revenus découvrir ce trésor Art nouveau, faisant mentir tous ceux qui pensent que les Parisiens se fichent bien de leur patrimoine !
L’exposition montrait comment l’architecte décorateur, véritable pionnier du design, avait investi tous les domaines de la décoration, éditant quantité de catalogues des produits fabriqués par ses ateliers d’Auteuil, allant des couverts aux luminaires ou aux boutons de porte, des meubles au papier peint, vitraux ou céramiques, sans oublier les fameuses sculptures ornant les entrées du métro parisien (celles qui subsistent sont naturellement menacées par madame Hidalgo, qui ne cesse de massacrer le patrimoine parisien, voir les horribles nouveaux kiosques de journaux défigurant la ville). Dans le grand salon, on avait entouré la cheminée par un papier peint Guimard aux teintes délicates, réédité en deux couleurs par Le Cercle Guimard, qui le propose aux amateurs sur son site.

Cette année, grâce à la collection de céramiques de l’un de leurs fidèles adhérents, le très actif Cercle Guimard saisit l’occasion d’organiser pendant deux jours une exposition judicieusement intitulée : « Guimard & Avatars ».
Bien que la production de céramiques fut un terrain d’élection pour les adeptes de l’Art nouveau et Guimard en particulier (qui préférait parler de «style Guimard»), les organisateurs affirment y présenter un thème tout à fait nouveau :
l’édition par des faïenceries industrielles de cache-pots, de vases et de jardinières dérivés des trois modèles créés par Guimard, édités par la Manufacture de Sèvres : le cache-pot de Chalmont et le vase de Cerny datant de 1900, ainsi que la jardinière des Binelles réalisée en 1902.
Pour accompagner l’exposition, Le Cercle propose (à prix modique !) son journal d’exposition numéro 3 (à collectionner !), petite œuvre d’art en soi, par son format exceptionnel comme par la richesse de ses informations et la beauté de sa mise en page. Il fera le tour complet de la question, montrant la filiation entre les premières créations de vases par Guimard à partir de 1896 et les trois œuvres majeures décrites et analysées. Et nous présentera leurs «avatars», édités par la faïencerie De Bruyn à Lille, Keller & Guérin à Lunéville, Massier à Golfe-Juan, ou la SAPCR à Rambervillers. Constituant des démarques populaires plus ou moins largement répandues, diffusées avec ou sans le consentement de l’architecte, elles témoignent de son réel impact dans ce domaine au lendemain de l’Exposition universelle 1900.

On ne saurait trop encourager les membres du Cercle Guimard dans leur entreprise pour doter enfin Paris d’un Centre Art nouveau digne de ce nom à l’Hôtel Mezzara. Par exemple en devenant adhérent.

Lise Bloch-Morhange

Tous les détails de l’exposition des 15 et 16 septembre sont sur leur site : www.lecercleguimard.fr

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