Un été avec Gaspar de Crayer

Un monsieur très honorable, ce Gaspar de Crayer. Si le vingtième siècle a quelque peu oublié ce peintre né à Anvers en 1584 dans une famille d’artistes, il fut en son temps une des plus hautes personnalités, un artiste connu et reconnu par la bonne société flamande. Ducs ou archiducs, princes ou marquis lui commandèrent leurs portraits. Il fut même chargé d’exécuter celui du roi d’Espagne Philippe IV. Le monarque (ci-contre), à qui la nature n’a guère donné la grâce physique, apparaît quelque peu engoncé dans son armure d’apparat. N’empêche, l’imposant tableau de presque deux mètres de haut sera exposé trois siècles plus tard au Metropolitan Museum de New York.

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer aujourd’hui, peintre de cour était au XVIIe siècle un poste prestigieux, pas seulement rémunérateur. Gaspar de Crayer appartenait à cette aristocratie, au même titre que Rubens et Van Dyck. L’exposition que propose tout l’été le musée de Flandre de Cassel (Nord), outre qu’elle constitue une première en France, permet de découvrir la maîtrise et le savoir-faire des portraits sortis de son atelier. On admirera au passage la somptuosité des fraises et collerettes dont l’importance devait sans doute être en relation directe avec le rang social de celui qui les portait.

Mais Gaspar de Crayer s’illustra tout autant comme peintre religieux, genre noble par excellence, qui représente les trois quarts de sa production. Les études parlent de plus de 150 tableaux en relation avec l’histoire biblique. Certains sont d’une dimension imposante, en particulier les commandes pour les églises de Flandre (Courtrai, Gand, Anvers). Il est vrai que depuis la contre-réforme, les grandes, voire monumentales œuvres d’art baroque peuvent contribuer à faire revenir les fidèles dans le droit chemin. Mais on pourra s’attacher à des toiles de plus petites dimensions et un peu plus humaines, comme la très émouvante Sainte Marie Madeleine (ci-dessous) renonçant au vanités du monde d’où émane une étrange et émouvante mélancolie.

Gaspar de Crayer vécut jusqu’à l’âge avancé de 85 ans, sans jamais avoir quitté sa Flandre natale même pour un petit voyage en Italie. Il aura occupé les postes les plus enviés et bénéficié de l’estime de ses contemporains durant toute sa carrière. Cette vie d’honneurs contraste avec l’oubli relatif dans lequel il s’est retrouvé par la suite. Il est vrai qu’à son époque l’immense Rubens régnait en maître. Son influence se fait d’ailleurs sentir chez de Crayer, et un critique du dix neuvième siècle estimait que si le peintre n’avait pas «cette audace et ce feu» du maître anversois, il pouvait «se comparer à lui dans les compositions plus tranquilles» et possédait même «une douceur de sentiment qui fait défaut à Rubens».

En matière d’art plus qu’en toute autre, comparaison n’est pas raison et le débat est de peu d’importance. Cette exposition-découverte confirme en tout cas le dynamisme du musée de Flandre de Cassel, au cœur d’un village qu’une récente émission télévisée vient de proclamer «village préféré de Français». Ouvert il y a seulement huit ans, l’établissement, par sa programmation originale et la diversité de ses choix, s’est imposé bien au-delà des frontières des Flandres belges ou françaises.

Gérard Goutierre

« Entre Rubens et Van Eyck, Gaspar de Crayer »
Musée de Flandre, 59670 Cassel. Jusqu’au 4 novembre 2018, sauf le mardi

Illustration d’ouverture: Portrait de Philippe IV d’Espagne en armure d’apparat; vers 1628 (182 x118 cm) ©New York, The Metropolitan museum of Art
Seconde illustration: Ste Marie Madeleine renonçant aux vanités du mondes Anvers Fondation Phoebus © The Phoebus Foundation
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Une réponse à Un été avec Gaspar de Crayer

  1. Daniel de Montplaisir dit :

    Excellent article sur un peintre effectivement bien oublié.

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