Les invités sont partis en promenade avec en tête un léger doute sur la possibilité d’un orage. Ils ont laissé derrière eux, face à la pièce d’eau, un parasol jaune et des chaises en osier. Et sur la vieille table en fer, peinte et repeinte depuis trois générations avec le même enduit vert, une théière haute époque achève de tiédir en son sein un fond humide épongé de thé noir. Autour, les oiseaux chantent à tue-tête sur les branches du prunier dont les fruits arrivent à maturation. C’est l’été et comme la famille est partie se rafraîchir auprès de la rivière toute proche, un calme relatif s’est installé, seulement troublé par le vrombissement des guêpes affairées.
Les aléas du siècle en cours ici n’ont pas prise. Sous la surface de l’étang garnie de nénuphars, tout une famille de batraciens se tient coite en attendant la fraîcheur du soir. La jardinier fait la sieste. Un peu d’eau coule à l’intérieur de la maison. Son bruit discret indique que quelqu’un vaque dans la cuisine. Il y a là un équilibre général dont chaque élément a été répertorié à travers maints ouvrages de littérature et correspondances bienveillantes. Mais pas tout à fait.
Car la matière qui gît au fond de la théière est plurielle. Elle a même un nom oublié. Ce sont les effondrilles. Soit ce qui reste une fois que le thé -ou l’infusion- a été servie. De même que dans la cuisine, lorsque la bonne achève de vider le vase qui se trouve habituellement dans le vestibule, la substance résiduelle qui vient avec l’eau croupie, appartient également au groupe méconnu des effondrilles dans la nomenclature générale des déchets.
Contrairement aux effondrilles, le déchet englobe tout ce que l’on jette. Dans les déchetteries modernes, on incinère sans trop faire de détail et d’autant plus facilement que les effondrilles n’existent plus que par charité dans les pages des dictionnaires bien ordonnés. On n’a pas encore trouvé de recyclage précis pour ces grandes oubliées qui rejoignent dans le meilleur des cas l’anonymat des composts.
Techniquement pourtant, si l’on veut bien admettre qu’une centrale nucléaire n’est jamais qu’une grosse théière -dans la mesure où l’une comme l’autre sont conçues pour rejeter leur trop plein de vapeur- il serait possible de parler d’effondrilles atomiques en lieu et place des déchets radioactifs. Mais à bien le considérer, ce dévoiement n’est pas recommandable. Les effondrilles ont beau être « éloignées de l’emploi » comme il est d’usage de nos jours de désigner les chômeurs, elles ne sont pas qualifiées pour postuler à n’importe quelle (radio) activité.
Le mot est donc voué à disparaître petit à petit sauf si une personnalité trouve le moyen de l’intercaler dans l’une de ses interventions. Quand il était premier ministre, Michel Rocard avait utilisé le mot « procrastination » à l’assemblée nationale. La plupart des députés en étaient restés bouche-bée. Mais dès le lendemain, via le relais des journaux télévisés et autres médias, le mot était puissamment relancé et encore de nos jours, il fait la joie de ceux qui aiment à remettre au lendemain corvées et devoirs divers. Par exemple si au mois d’avril dernier, en déplacement dans la Mayenne le premier ministre actuel avait dit que la France affichait « un taux de valorisation des effondrilles municipales de l’ordre de 40 % » à la place du syntagme « déchets municipaux », il est bien clair que deux mois plus tard le vocable aurait envahi nombre de conversations avec la satisfaction pour les parleurs compulsifs d’utiliser la langue de l’élite. Les perroquets n’ont pas cet orgueil mal placé. Et là-bas à la campagne, de retour de la baignade, la famille est de de nouveau réunie autour d’un carafon de grenadine.
PHB
Merci, fort joli mot
Les effondrilles sont : qualifiées et non : qualifiés :
Or je lis :
« elles ne sont pas qualifiés pour postuler à n’importe quelle (radio) activité. »
Vous avez tout à fait raison cher lecteur, d’ailleurs c’est corrigé, merci. PHB
Les effondrilles devraient pouvoir m’inspirer en peinture.
Merci Philippe
cette rêverie sur les effondrilles va m’illuminer la journée !
merci,merci,merci !
Et moi qui bois du thé tous les matins et ignorais les effondrilles!!!!!!!!!!
au fait, les effondrilles s’appliquent-elles au thé blanc?