Avoir un enfant atteint d’une malformation, d’un handicap ou d’une trisomie 21, est, avouons-le, l’angoisse de tout futur parent. Vincent Toulmé, dans “Ce n’est pas toi que j’attendais”, nous raconte avec une sincérité confondante l’arrivée de sa deuxième fille, Julia, atteinte du syndrome de Down. Une bande dessinée salutaire dont la lecture ne peut que nous aider à mieux comprendre la différence.
Le livre s’ouvre sur un souvenir d’enfance dans la banlieue d’Orléans. A la sortie de l’école, une rencontre avec un garçon “mongolien”. Tandis que le narrateur, gamin, est un peu gêné et ne sait trop quelle attitude prendre, ses camarades se moquent de l’enfant différent et menacent de le frapper.
L’histoire reprend des années plus tard, au Brésil, alors que Fabien, le narrateur, et sa jeune épouse Patricia s’apprêtent à vivre la première échographie de leur deuxième enfant. Le papa est stressé au plus haut point, hanté par la peur d’avoir un enfant trisomique, mais l’examen le rassure aussitôt : la clarté nucale présente une épaisseur normale. Or, quand la clarté nucale fait moins de 2,2 mm à onze semaines de grossesse, le risque d’avoir un enfant trisomique est quasi nul, lui avait-on déjà expliqué lors de l’échographie de sa fille Louise. “A la limite, il y aurait plus de probabilités de gagner au loto”. En France, un test sanguin vient compléter l’évaluation du risque de trisomie, mais il n’est pas dans les usages au Brésil.
Les semaines passent, la famille décide de retourner vivre en France et les examens continuent avec de nouveaux interlocuteurs. Un rendez-vous avec la gynécologue permet de découvrir le sexe de l’enfant, puis l’échographie morphologique, avec un tout nouvel appareil qui fait la joie de son utilisateur, ne décèle rien d’anormal. Vient enfin le jour de la naissance de Julia qui, comme sa grande sœur, arrive par césarienne. En découvrant le nourrisson, le papa lui trouve un air étrange et ses angoisses refont immédiatement surface, aussitôt démenties dans un bel ensemble par le corps médical. Un souffle cardiaque et des difficultés à respirer, nécessitant un transfert dans un autre hôpital disposant d’un service d’urgences pédiatriques, semblent être les seules difficultés rencontrées par le nouveau-né. La malformation cardiaque dont souffre l’enfant – dite tétralogie de Fallot –, apprend-il trois jours plus tard, ne s’expliquerait cependant que par… une anomalie chromosomique de type trisomie 21. Le père voit ses plus grandes craintes se réaliser, son instinct paternel ne l’avait pas trompé, le ciel lui tombe littéralement sur la tête.
Fabien Toulmé, dans les cent soixante-dix pages suivantes, nous confie, avec une belle sincérité qui l’honore, ses sentiments et ceux de son épouse durant les trois premières années en compagnie de Julia, sa découverte et son adaptation progressive à la différence de cette enfant hors normes. Il nous livre avec une honnêteté confondante ses pensées les plus inavouables – son manque d’affection premier à l’égard du nouveau-né, le secret espoir que le problème cardiaque prenne le dessus… –, sa dépression, sa peur de la réaction de l’entourage, la prise en charge de son couple et de Julia par de nombreux professionnels de santé – dans un chapitre qu’il intitule non sans ironie “Bienvenue à Handicap Land” –…
Le récit est de bout en bout passionnant, limpide et intelligent dans sa construction. Dès le départ, le lecteur s’identifie au narrateur et vit en symbiose avec lui, traversant les mêmes angoisses, espoirs, désillusions, joies… Si l’auteur joue d’emblée la carte de la franchise, c’est pour mieux nous entraîner avec lui. Sa loyauté est une source d’émotions constante, sans pour autant verser dans le pathos. Fabien Toulmé a le talent de raconter cette histoire personnelle, vécue au départ comme un drame, sans détour et avec infiniment d’esprit et d’humour. S’il réussit à nous faire pénétrer dans l’intimité de sa famille, à nous la rendre proche, c’est toujours avec beaucoup d’élégance. Au fil de l’histoire, nous nous attachons de plus en plus à Fabien, Patricia, Louise et, bien évidemment, Julia.
Les dessins jouent aussi pour beaucoup dans cet attachement. Monochromes, ils varient de couleur en fonction des chapitres, passant tantôt du brun à l’ocre, au vert pâle, au rose, au bleu, au gris… Dessinés dans un style presque enfantin, les protagonistes sont très vite identifiables. Une grande douceur se dégage de ce trait d’une belle simplicité. Par ailleurs, le livre est divisé en de nombreux courts chapitres annoncés par des phrases clés, ce qui rend la lecture on ne peut plus aisée.
Si l’auteur a intitulé sa bande dessinée “Ce n’est pas toi que j’attendais”, il ajoute un peu plus tard “mais je suis quand même content que tu sois venue…”, ce qui résume au mieux ce parcours initiatique à la différence.
Le livre se referme sur quelques photos de Julia qui font pour la plupart plaisir à voir. Sur la première, on la voit, sans doute aux urgences pédiatriques, toute frêle et branchée à différents appareils, puis, au fil des mois et des années, riant aux éclats. On garde donc l’image d’une enfance joueuse et heureuse. Quelques pages auparavant son père concluait l’histoire en ces termes : “Au Brésil, ils ont une façon un peu plus optimiste de parler d’enfant trisomique. Ils disent qu’il s’agit d’un enfant spécial. Spécial au sens exceptionnel. D’ailleurs, quand Julia est née, plusieurs amis de Patricia lui ont dit qu’elle avait de la chance d’avoir un enfant spécial. Pour certains Brésiliens, c’est le bébé qui choisit ses parents à la naissance. Dans notre cas, il aurait donc fallu considérer qu’on avait eu de la chance d’être choisis par cet enfant spécial : c’était une preuve de confiance, le signe que nous saurions nous occuper d’elle. ”
Isabelle Fauvel
“Ce n’est pas toi que j’attendais” de Fabien Toulmé, Editions Delcourt (2014).
Merci pour cette inspirante présentation !!!!!!
Je viens de le réserver à la médiathèque et ai hâte d’aller le chercher !
Vous m’en voyez ravie. Bonne lecture !