Quel beau titre que celui de l’exposition actuelle de l’Institut des Cultures d’Islam (ICI) ! Et quelle belle et surprenante exposition ! À rebours des références à la dictature, la guerre, le terrorisme, généralement associés au nom de la capitale irakienne, il n’est question pour une fois que d’art et de culture. La ville est évoquée par le regard lumineux d’artistes qui s’attachent à revisiter la Bagdad ville-monde, située au cœur d’un pays où se sont succédé plusieurs civilisations brillantes. Civilisations que les fous de guerre, ou de Dieu, auraient bien voulu annihiler en détruisant tous témoignages (et en faisant fortune), en particulier par le pillage du Musée National d’Irak en avril 2003, à l’arrivée des Américains, et par les agressions très médiatisées de Daech, comme à Mossoul.
C’est donc une façon de sauvegarder et de réinventer le patrimoine culturel irakien que se propose cette exposition dans laquelle une quinzaine d’artistes questionnent l’histoire et les différentes formes qu’a pris la création au cours des millénaires et nous restituent leur propre vision de cet héritage. Réunis par Morad Montazami*, ils appartiennent majoritairement à plusieurs générations d’Irakiens, actifs à Bagdad dans les années 50/60 ou contemporains en exil. L’événement conçu comme un manifeste adressé à l’Irak terre de culture est l’occasion de nouer des dialogues foisonnants entre les différents artistes qui s’expriment à travers tous les mediums avec comme sujet commun l’archéologie, l’art, l’architecture ou encore l’artisanat. De cette diversité résulte une exposition d’une grande cohérence et surtout d’une réjouissante vitalité. Pas d’oraison funèbre mais une célébration joyeuse de la scène artistique irakienne que l’on découvre avec autant de surprise que de plaisir, surtout si l’on fait la visite en compagnie de Morad Montazami, passeur intarissable et passionné de la culture irakienne.
Bien sûr l’exposition rend aussi hommage au film d’Alain Resnais et Marguerite Duras, Hiroshima mon amour qui déjà évoquait la survie après la destruction organisée. Répartie sur les deux sites de l’ICI, elle propose ainsi un parcours parmi des œuvres d’art modernes et contemporaines qui s’approprient les témoignages du passé comme autant de moyens de survivance d’une identité en péril. Citons, entre autres, l’œuvre textile d’Ali Assaf, Cloth window; for my mother (1993) qui s’inspire des formes des fenêtres dans l’architecture traditionnelle, tout en évoquant sa mère couturière. Avec Plan for Greater Baghdad, (2015), la jordanienne Ala Younis nous propose une installation qui interroge les tensions entre idéaux et idéologies à partir d’une Cité sportive conçue par Le Corbusier, construite après sa mort, oubliée pour être inaugurée 25 ans plus tard par Saddam Hussein. Bonne nouvelle, le gymnase a échappé aux bombardements.
La modernité y compris architecturale apparaît dans les photos de Latif Al Ani, prises dans les années 50 à 70 (cf. affiche). Elles nous font découvrir la Bagdad d’un « âge d’or Irakien », qui s’étend grosso modo de l’indépendance en passant par la chute de la monarchie, le 14 juillet 1958 au début des coups d’État militaires qui porteront finalement Saddam Hussein au pouvoir en 1979. Ces années ont permis l’éclosion d’un groupe, le Bagdad Modern Art Group, emmenés notamment par Jewad et Lorna Selim, qui déjà questionnait la notion de patrimoine national, sumérien, assyrien, babylonien, islamique, etc., pour mieux affirmer leur propre créativité. L’exposition met en évidence les ponts qui relient ces différentes générations de praticiens(es) mais comme le précise Morad Montazami : « alors que ces artistes s’inscrivaient dans le projet post-indépendance d’une nation nouvelle, les pratiques contemporaines répondent aux urgences humanitaires et patrimoniales d’une nation déchue, hantée par des objets-fantômes et des collections-contrebandes ».
Pas de fantômes à la Goutte d’Or mais des œuvres bien réelles, dont l’inventivité s’exprime tous azimuts, y compris sous forme d’allégorie, de parodie… avec en contrepoint différents documents d’archives, messagers d’un passé fondateur. Loin de la nostalgie, toutes ces œuvres, où l’humour est souvent présent, sont ici rassemblées pour faire triompher l’art et la culture, mais surtout la vie, en espérant que Paris n’est qu’une étape. Artistes en devenir ou accomplis, certains mènent déjà une belle carrière internationale, tous dessinent un avenir plein d’espoir et ouvert sur le monde.
Cette exposition foisonnante nous donne envie d’en savoir plus sur Bagdad et l’Irak. Pour cela, l’ICI propose de nombreux événements en parallèle de ses multiples activités: visites guidées, conférences, concerts, films, spectacles, etc……. pour (re) découvrir « les multiples facettes d’une ville, tantôt cosmopolite et décomplexée, tantôt ravagée et étouffée. » Mais toujours debout !
Marie-Françoise Laborde
Jusqu’au 29 juillet
Institut des Cultures d’Islam
56, rue Stephenson – 19, rue Léon
75018 Paris
*Morad Montazami est historien de l’art, éditeur et commissaire d’exposition. Il est research curator « Moyen-Orient et Afrique du nord » à la Tate Modern (Londres). Il est également directeur des éditions Zamân Books.