Nez de Chine

Ce que le détail de l’image ci-contre ne montre pas c’est que la femme regarde un oiseau sur son perchoir. Il s’agit d’une encre exécutée par Chen Hongshou au terme de la dynastie Ming (1368-1644). Tout l’intérêt de cette œuvre est que le buste féminin s’appuie sur une cage à encens. Elle est visible au musée Cernuschi dont la proposition en cours est de nous révéler l’importance des fragrances dans la culture chinoise. Une notice nous détaille qu’on couvrait de linges humides cette cage au sein de laquelle il était placé un brûle-parfum. Afin qu’ils s’en imprègnent.

Pas de quoi tomber à la renverse avec cette exposition tout à la fois secrète, raffinée et paradoxalement inodore. Laquelle nous démontre que d’une certaine façon il n’est point besoin de prendre l’avion pour changer d’air. Que tout peut se faire à la maison, sur soi, sur la peau, sur les vêtements et aussi sur les cheveux. L’une des premières pièces qui accueillent le visiteur est une boîte contenant quelques herbes de patchouli, substance aromatique et entêtante qui encensa littéralement toute une époque moderne de libertés, aujourd’hui quasi-révolues.

Intitulée simplement « Parfums de Chine », la bonne idée du musée Cernuschi nous fait musarder de dynastie en dynastie, en nous expliquant les différentes motivations qui conduisaient à l’usage d’un parfum ou d’un encens. Ainsi durant la période des Zhou (1046-256 av.JC) les parfums jouaient un rôle d’intercesseurs entre les humains et les divinités. À partir de bois de santal, de camphre de girofle ou d’encens, il était déjà procédé à des compositions. Certaines effluves étaient spécialement utilisées pour des rituels bouddhiques. Tandis que l’univers profane, domestique, avait pu conduire le poète Bai Juyi (772-846) à évoquer une « femme au teint encore rose et déjà délaissée, penchée sur son brûle-parfum, en attendant l’aube ». On aura ici compris que l’idée générale était un puits d’inspiration apprécié des rêveurs.

C’est avec la dynastie des Song (960-1279) que le parfum s’élève et caractérise un monde de savoir et de lettres. Interviennent alors la pivoine, le chrysanthème, l’orchidée, le bois d’aigle ou d’aloès. Dans la dynastie Qing, la toute dernière qui s’achève en 1911, l’encens ne s’est pas dévalué et fait même l’objet de dépôts impériaux. Les archives font mention de l’ambre gris, de clous de girofle, de santal blanc. Des produits qui étaient mentionnés en raison de leur utilité thérapeutique qui s’ajoutait à leur emploi dans la toilette.

Cette histoire de parfums de Chine se décompose chronologiquement sous nos yeux en toute une série d’ustensiles précieux destinés à diffuser de délicats fumets. On y retrouve avec bonheur ce que l’on peut voir toute l’année au musée Guimet, soit cette incroyable capacité des artisans chinois à faire d’une coupe, d’un vase ou en l’occurrence d’un brûle-parfum un objet d’art d’une modernité, d’une finesse et d’une audace intemporelles. Et forcément cela nous donne à réfléchir sur nos propres usages allant des vulgaires produits déodorants jusqu’aux parfums les plus chers. Aujourd’hui on se parfume davantage pour séduire l’autre que pour interpeller les esprits qui vaquent alentour quoique l’encens a encore quelque usage dans les églises ou dans les temples.

D’une feuille d’automne qui moisit à quelques gouttes d’un parfum Dior en passant par les subtilités d’un grand cru du Bordelais, le sens olfactif recouvre tout un univers dont cette exposition nous révèle joliment, le précieux autant qu’infini vertige.

PHB

 

« Parfums de Chine » jusqu’au 26 août 2018, Musée Cernuschi

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2 réponses à Nez de Chine

  1. Joli article, orné d’une conclusion éminemment poétique.

  2. Un clin d’oeil à une chanson des années 80, d’ Isabelle Mayereau… Tu m’écris… A se glisser à l’oreille…

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