En 1904, il fut récompensé par le prix Goncourt (créé deux ans plus tôt) pour son roman « La Maternelle ». On lui doit une vingtaine d’ouvrages, romans ou contes. Quelques écoles primaires, un square et une rue de Paris portent son nom. C’est peu pour Léon Frapié (1863-1949) écrivain très célébré de son vivant, et dont le roman primé inspira le grand dessinateur Poulbot. Il fut le peintre de la pauvreté et le défenseur de la justice sociale. Son témoignage sur la misère à Paris au début du XXe siècle a marqué les esprits.
Nous retrouvons la personnalité de Léon Frapié dans l’article d’une revue féminine «La Femme de France» datée du 18 avril 1926. Le titre est alléchant : «Un intellectuel doit-il prendre pour compagne une femme simple ou une femme cultivée ?»
Pour répondre à cette angoissante question, le journaliste s’adresse avec une certaine déférence à l’écrivain qui a su rester simple et qu’il décrit comme «un homme qui ne cherche pas à se détacher du banal horizon de l’humanité qui marche boit, mange et respire». La réponse de Léon Frapié est plutôt ambiguë : «l’écrivain doit épouser la femme cultivée mais ayant des qualités de cœur et de compréhension» car «la compagne d’un écrivain a une grande influence sur son œuvre». Certes, mais… «l’idéal pour les grands écrivains est que l’épouse se fasse une joie d’être la collaboratrice accomplie tout en étant modeste et effacée» .
Soyons un peu plus direct : «il est également indispensable qu’elle consente à être la bonne ménagère et la bonne cuisinière» car «les repas sont très importants pour la réalisation d’une œuvre». En effet, «avant d’écrire, il faut boire et manger» note Léon Frapié, avec pragmatisme. Résumons : il convient donc d’abord «que la femme donne à son mari les conditions matérielles indispensables : soins du ménage, repas aux heures voulues, réceptions…». Les réceptions ? L’écrivain doit faire de bons livres, mais il doit veiller aussi à ce qu’on appellera plus tard les relations publiques. Selon l’interviewer «la femme simple n’aide pas à recevoir, mais manifeste souvent une aversion prononcée pour les relations que son mari voudrait cultiver». Dans ces conditions, répond l’écrivain «elle ne joue aucun rôle dans les relations mondaines. Ce n’est qu’une comparse, celle qui ouvre la porte et qui disparaît.»
Au fil de l’interview, la pensée du prix Goncourt se fait un peu plus précise. Une femme cultivée, très bien… mais voyez le danger : «Celle que j’appellerai la trop intellectuelle peut prétendre à s’immiscer, à imposer sa volonté, détourner la pensée du cours qu’elle doit suivre».Alors l’idéal ? Eh bien, c’est… une «femme moyenne» ! Pas si simple : on en rencontre de plus en plus difficilement «à cause de l’éducation que les jeunes filles et les jeunes femmes reçoivent. L’aspiration de la femme d’aujourd’hui est une aspiration vers la liberté féministe» et dans ces conditions, les femmes «manifestent une tendance très marquée pour la suprématie intellectuelle». L’écrivain se veut toutefois rassurant : «il existe encore des femmes moyennes et il appartient aux écrivains de les chercher et de les découvrir».
«Je plains celui qui ne trouve pas chaussure à son pied» poursuit Léon Frapié dont l’article se garde bien d’évoquer sa propre vie conjugale (il est alors âgé de 63 ans) .
On peut sourire ou rire (jaune) devant de tels propos. Mais à l’époque ils ne choquaient guère et d’ailleurs, la revue dans lesquels ils sont publiés a les caractéristiques des revues féminines élégantes dont les thèmes semblent inusables. On y trouve comme il se doit les conseils de beauté et de bien-être. La réclame vante les produits miracles pour maigrir (pilules Galton, dragées Cigartina, à moins que vous préfériez le thé mexicain du docteur Jawas), pour la douceur de la peau (savon Rodoll, le plus fin le plus parfumé), pour la beauté des seins (pilules orientales, car «une belle poitrine est le trésor le plus précieux de la femme»). Nous n’y avons pas trouvé de conseil pour le choix d’un mari.
Mais il sera beaucoup pardonné à l’écrivain : en 1924, il se présenta aux élections municipales parisiennes sur une liste qui militait pour le droit de vote des femmes. Ce droit, rappelons-le, ne fut accordé qu’en 1944.
Gérard Goutierre
Que de chemin parcouru ! Savoureuse rétrospective !
Et, la clef de voute? : le respect de l’un(e) à l’autre = l’amour vrai?
(d’après moi)
Ah les bas bleus…..
Est-ce que la femme qui lit n’est plus dangereuse aujourd’hui? Pas sur.
Merci de dépoussiérer un auteur effectivement oublié.
Malgré l’actualité, ce serait intéressant de poser les mêmes questions à quelques uns de nos écrivains célèbres