Mengele. Josef Mengele. Criminel de guerre nazi, antisémite convaincu qui poursuivit et expérimenta ses recherches médicales en génétique pendant la Seconde Guerre mondiale sur des déportés dans le camp d’extermination d’Auschwitz. Surnommé “L’ange de la mort”, le médecin SS était affecté à la sélection des prisonniers. Il avait ainsi le pouvoir de déterminer parmi les détenus ceux qui, dès leur arrivée, étaient aptes à travailler et ceux qui ne l’étant pas étaient envoyés directement dans les chambres à gaz. Le sinistre médecin réputé pour son sadisme mettait cette mission à profit pour choisir parmi les déportés les sujets de ses expérimentations cruelles et meurtrières. Contrairement à d’autres criminels de guerre nazis tels Adolf Eichmann ou Klaus Barbie, le docteur Mengele échappa sa vie durant aux filets de la justice et ne fut jamais arrêté. Olivier Guez, dans un roman en tout point passionnant, “La Disparition de Josef Mengele”, nous raconte l’histoire de cette volatilisation.
Rappelez-vous : “Ces garçons qui venaient du Brésil” (« The Boys from Brazil ») de Franklin J. Schaffner, ce film au titre éponyme adapté du roman d’Ira Levin contant l’histoire de ce médecin fou obsédé par la gémellité qui cherchait à créer des clones d’Adolf Hitler dans le but d’établir un quatrième Reich… Une œuvre de fiction certes, mais pas si éloignée de la réalité… Le redoutable Dr Mengele y était poursuivi par l’intraitable Lieberman, un “chasseur de nazis” inspiré de Simon Wiesenthal, ce célèbre rescapé de la Shoah qui consacra sa vie entière à la collecte d’informations et à la recherche des criminels de guerre nazis afin qu’ils soient jugés pour leurs actes. Ira Levin publia son roman en 1976, Franklin J. Schaffner sortit son film deux ans plus tard alors que Josef Mengele, bel et bien vivant, continuait à se cacher, Wiesenthal toujours à ses trousses.
Mais comment ce médecin SS recherché par toutes les polices réussit-il à s’en sortir ? Près de quarante ans plus tard, la question ne cessait d’intriguer.
Le journaliste, essayiste et écrivain français Olivier Guez, auteur notamment de “L’Impossible retour, une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945” (éditions Flammarion, 2007), consacra pas moins de trois ans de sa vie, pour tenter d’y répondre, à se documenter sur la longue cavale que fut la vie de Mengele. Par ailleurs, coscénariste du film “Fritz Bauer, un héros allemand” de Lars Kraume (2016), Olivier Guez, en relatant le travail de l’inflexible procureur général allemand dans sa traque des criminels nazis réfugiés en Amérique du Sud et notamment celle d’Eichman, connaissait déjà bien la question. C’est dire s’il maîtrise son sujet.
Auschwitz, mai 1943 – janvier 1945. À la libération du camp le 27 janvier par l’Armée rouge, Mengele se fond dans la Wehrmacht pour tenter d’échapper aux représailles. Interné quelques semaines dans un camp américain de prisonniers, il est libéré grâce à la possession de faux papiers au nom de Fritz Ullmann. Puis il se cache dans une ferme en Bavière sous l’identité cette fois-ci de Fritz Hollmann. Il y coupe les foins et trie les pommes de terre pendant trois longues années. Ensuite, c’est la fuite en Italie : la traversée des Dolomites à travers les bois, l’arrivée au Sud-Tyrol sous le nom d’Helmut Gregor, puis Gênes où il embarque enfin sur le North King en direction de l’Argentine, terre d’asile de tous les criminels nazis. Le 22 juin 1949, il arrive à Buenos Aires. Tout ceci ne s’est bien évidemment pas accompli sans complicités. Un puissant réseau existe alors en Amérique du Sud. La machine est déjà bien huilée.
Benvenido, señor Mengele ! L’Argentine de Perón l’accueille à bras ouverts. Pendant une dizaine d’années, Mengele vit assez bien son exil, et même comme un pacha nous dit Olivier Guez. Protégé par une fausse identité, il mène une vie sociale plutôt plaisante tout en sachant se montrer discret. Il correspond avec sa famille, prend le risque de divorcer à la demande de son épouse, retrouve son fils en Suisse pour une semaine de ski, fait un court séjour à Günzburg dans le domaine paternel, se remarie…Il faut dire que s’il figure sur une liste de criminels de guerre établie par les Américains, le docteur Mengele n’est pas encore recherché. Dans les années quarante, la justice se préoccupe essentiellement des chefs militaires comme le montre le procès de Nuremberg. Mengele, lui, n’intéresse personne. Médecin parmi des centaines d’autres, même s’il s’est particulièrement montré zélé dans ses fonctions, un employé “modèle” pourrait-on dire, il n’est pas encore le symbole de la barbarie nazie qu’il deviendra par la suite lorsque ses monstrueux essais cliniques seront découverts.
Puis, en mai 1960, avec l’enlèvement d’Eichman par le Mossad suivi du retentissant procès à Jérusalem, la situation change du tout au tout. Le procès du grand ordonnateur de l’holocauste permet de révéler au monde entier, à travers de nombreux témoignages de survivants de la Shoah, l’ampleur des atrocités nazies. La chasse est ouverte. Mengele prend peur. Il change à nouveau d’identité et part se réfugier au Paraguay. Suivent près de vingt années d’une longue errance sud-américaine où il passe de planque en planque, de cache en cache, lâché petit à petit par les uns et les autres. Olivier Guez l’a suivi au plus près et son récit est des plus captivants. S’appuyant sur des faits très précis, fruits de longues recherches historiques, il remplit les blancs en tentant d’imaginer les pensées et sensations du fugitif. Si l’on en croit l’auteur, s’il ne fut pas hanté par le remords de ses actes, le criminel le fut par la peur d’être découvert et mena une existence de plus en plus misérable, tel un rat traqué. “Le châtiment correspond à la faute : être privé de tout plaisir de vivre, être porté au plus haut degré de dégoût de la vie.” aime à croire Olivier Guez en citant Kierkegaard.
Mengele ne fut jamais capturé et mourut le 7 février 1979 à l’âge de soixante-sept ans. Alors qu’il se baignait à Bertioga, une ville côtière près de São Paulo, il se noya, probablement victime d’une crise cardiaque. Il fut enterré à Embu sous le nom de Wolfgang Gerhard. Sa mort ne fut découverte qu’en 1985 et confirmée par des tests ADN en 1992. La famille refusa que ses restes fussent rapatriés en Allemagne. Ils demeurèrent donc à l’Institut médico-légal de São Paulo. En mars 2016, les os de Mengele furent légués à la médecine brésilienne et livrés aux manipulations des apprentis médecins de l’université de São Paulo.
Isabelle Fauvel
“La Disparition de Josef Mengele” d’Olivier Guez chez Grasset, Prix Renaudot 2017.
“Ces garçons qui venaient du Brésil” (The Boys from Brazil) de Franklin J. Schaffner (1978) avec Gregory Peck (Josef Mengele), Laurence Olivier (Ezra Lieberman) et James Mason (Eduard Seibert). (ci-contre)
“Fritz Bauer, un héros allemand” de Lars Kraume (2016), scénario de Lars Kraume et Olivier Guez.
En 1952, Robert Merle écrivait « La Mort est mon métier » où il faisait parler un criminel de guerre ayant dirigé un camp de concentration… Il ne savait pas qu’il créait un genre. Depuis on en sort plus… Les salauds sont devenus les héros même au corps défendant de ceux qui les décrivent négativement.
Je me refuse désormais à lire cette littérature qui se vend bien et qui s’écrit trop bien… Les bienveillantes, Le Liseur, etc…
Je préfère lire et relire Dora Bruder de Modiano ou le Journal d’Hélène Berr
Chez Philip Kerr, les monstres se portent bien aussi (et l’édition aussi.)
Etrange non?
Quel intérêt à remuer un passé si lointain ? Ces horreurs vous affligent ? alors regardez ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient. Il est peut-être possible d’agir sur le présent. Vous ne pourrez pas dire : »on ne savait pas »
Il y a donc une nécessité à nous maintenir dans l’apologie de notre si grande complexité qui n’est autre que celle de la seule espèce qui tue non pas par la nécessité de la survie, mais par avidité et pour le plaisir. Désenchantée par notre interminable égocentrisme, de l’évidence de notre impossibilité d’évoluer vers la perfection de l’empathie et de bienveillance envers les plus fragiles, nous avons gardé un pied destructeur dans la Nature que je m’empresse de découvrir, ce qu’il en reste.