Encore une curiosité à fleur de poubelle. Cette fois il s’agit d’un petit guide « vert » de l’U.R.S.S, édité en Russie vers la fin des années cinquante. Ce vade-mecum pour les touristes francophones est en soi un grand voyage. Chaque page s’applique à présenter un monde idéal, fait de 100 peuples, 220 millions d’habitants dont 114 millions de Russes. Une carte intérieure nous permet de mesurer en une large tache rouge toute l’étendue géographique de cet empire. Il faut parcourir ce livre en se transposant dans les années d’après-guerre et s’imaginer en Français moyen lassé des vacances à Arcachon, rêvant de mélanger sa Renault au flux des Volga et autres Vaz.
Car on pouvait y aller en voiture c’est du moins ce que prétend le livre « à condition d’être en état de conduire ». Mais le mieux semble-t-il était de s’y rendre en avion ou en train, à condition dans les trois cas de ne pas emporter entre autres, des « ouvrages pornographiques » ou « susceptibles d’être utilisés au détriment de l’U.R.S.S ». À noter qu’en train, s’il n’y avait pas de wagon-restaurant on vous promettait de vous fournir « abondamment en tartines ». Presque tout semble-t-il pouvait être visité dans cette Russie qui avait pris une nette avance sur les États-Unis dans la conquête de l’espace. C’est d’ailleurs pour cela qu’en direction des jeunes, il y avait une agence de voyage dénommée Spoutnik, (Intourist c’était pour les grands) du nom d’un fameux satellite expérimental expédié de là-bas pour faire un tour de la Terre par l’extérieur en klaxonnant à l’italienne ses bips bips triomphants.
Oui tout était organisé pour que le touriste se sente à l’aise. Il y trouvait 900 musées dont un en particulier qui devait valoir son pesant de roubles: « L’exposition des réalisations de l’économie nationale » à Moscou. Dommage que ce petit guide ne nous en donne pas une idée par l’image mais sur Youtube figurez-vous que le film existe. C’est une rareté, tournée en 1957. Juste à l’entrée de cette expo dont l’origine -agricole- remontait à 1939, une sculpture en « acier inoxydable » était là pour impressionner le visiteur (les Parisiens avaient l’occasion de la voir lors de l’exposition universelle de 1937). Rien que son titre encourageait le déplacement puisque l’œuvre de Véra Moukhina avait été baptisée « L’ouvrier et la Kolkhozienne »: avouons que la promesse était alléchante. Et si de retour on se perdait en route pour s’être bêtement cru capable de se passer d’un guide, pas de problème car, comme dans toute société idéale, il est mentionné qu’en prononçant le seul mot « Intourist » ou le nom de votre hôtel, un « milicien, un chauffeur de taxi ou le premier passant venu » vous auraient tiré « d’embarras ». Le pourboire était prescrit. Un glossaire en fin d’ouvrage était même prévu pour aligner quelques mots de plus.
Feuilleter ce guide aimable permettait aussi de comprendre un pays qui s’affirmait défenseur des droits de la personne y compris dans sa vie privée. Il a sûrement fallu une certaine foi à ses auteurs pour rédiger cette précision. Mais le mieux page 97 c’est l’information selon laquelle en « Union Soviétique, il n’existe qu’un seul parti politique, le « Parti communiste ». C’est une chose de le savoir, c’en est une autre de le lire en toutes lettres. Il était expliqué dans ce long chapitre que ce principe parfait réglait la plupart des difficultés, bien mieux encore qu’un parti ultra-majoritaire dans un pays démocratique. Le Parti y apprend-t-on, compte à cette époque 10 millions d’adhérents et ne « substitue » pas au pouvoir de l’État. Mais c’est quand même lui qui « élabore la politique générale du pays » et « mobilise les masses pour résoudre les problèmes ». Tel un discret mastodonte si on veut bien passer sur cet oxymore.
Un mot rare à dénicher dans le guide, c’est le mot « liberté » encore que, page 127, il y est stipulé avec gravité que la « liberté de conscience est respectée » dans tout le pays, jusqu’à -mais ce n’est évidemment pas mentionné- la cultiver à l’écart dans un de ces riants camps de travail dont on n’a connu l’existence que plus tard à la décharge des auteurs. Le mot « liberté » ne figure pas non plus dans le glossaire, plein de vocables et d’expressions pratiques. Par exemple, « Ia otchen rad » permettait au touriste de dire à un autochtone « je suis très heureux », mais aucune formule n’était à sa disposition pour proclamer le contraire. En revanche il pouvait tenter d’articuler « Poezjaïtié na vozcal » soit « conduisez-moi à la gare ». Ce qui revenait au-même.
PHB
(1) Le film sur « l’exposition des réalisations de l’économie nationale »
Éminemment savoureux! Merci de nous faire partager de telles pépites…
Eh bien…en ce moment …à Paris…euh j’aimerai bien faire les poubelles avec vous…!
Et quel est l’éditeur de cet ouvrage ? s’il est mentionné…
Le nom de l’éditeur est inscrit en langue russe, du moins je le suppose n’étant pas russophone.
Ah ! Le doux parfum de l’anticommunisme primaire !… À fleur de poubelle !
Ah ! La belle liberté de nos démocraties occidentales dans les années 50 ! Les belle grèves des mineurs jamais réprimées ! Le sort merveilleux des syndicalistes et des militants dans les usines de la liberté genre Citroën avec leurs gentils nervis !
Les droits bien respectés de nos encore indigènes !
Ah… pardon… pour vous, liberté, cela veut dire sans doute « société de consommation »…
Je m’incline..
Voczal signifie « gare » et non aéroport.
Bien vu et merci c’est corrigé
Je suis Fan de vieux guides, rouge, vert, bleu, c’est avec un vrai grand plaisir de celui comme vous, sait se plonger dans les vieux récits, une mine pour les historiens pour redonner vie à une ville, un pays, à une époque donnée; j’ai savouré votre » voyage » cher Philippe, un régal !