Judicieusement, l’une des références de la presse culturelle a pris quelques mois d’avance pour publier un hors-série dévolu à Guillaume Apollinaire. Comme l’écrivain a disparu deux jours avant l’armistice en 1918, happé par la grippe espagnole, les commémorations de la première guerre mondiale et son baisser de rideau officiel ne pourront que lui faire de l’ombre. Télérama a donc ajusté son tir. Il en résulte un magazine globalement plaisant à découvrir que ce soit pour les connaisseurs où les curieux.
Ce numéro est d’autant plus accessible que sa définition artistique est attrayante. La maquette, très aérée, fait la part belle aux illustrations, avec des choix pertinents. La vie du poète, écrivain et critique d’art, pour ne citer d’emblée que trois des principaux aspects professionnels de Guillaume Apollinaire, est délivrée sous la plume de Laurence Campa à qui l’on doit de multiples ouvrages sur le sujet dont une imposante biographie sortie en 2013 chez Gallimard. Au bout d’une dizaine de pages seulement, les lecteurs disposeront donc d’un préambule assez riche pour en savoir suffisamment et leur permettre d’aller plus loin, c’est à dire au moins jusqu’au bout du hors-série.
Cet « Apollinaire » sous-titré « Sur tous les fronts » multiplie les angles originaux avec une fraîcheur due à à la réécriture. Revenir sur un sujet c’est le faire renaître, le faire avec subjectivité c’est lui conférer une nouveauté bienvenue. Au fil des chapitres, les lecteurs découvriront le jeune homme, le poète, l’écrivain, le soldat, l’artiste, le journaliste, le cinéphile, le critique d’art, l’amoureux inspiré.
L’iconographie participe à cet ouvrage séduisant. Pas seulement parce qu’on le voit lui, mais aussi parce parce que l’on y découvre avec ses calligrammes son expression graphique si originale ou encore, les œuvres que son existence-même ou sa poésie, ont pu inspirer à maints artistes. L’homme qui aurait bien voulu ajouter la peinture à ses talents d’écriture avait conçu un module novateur consistant à confondre l’image et le texte. Ses idéogrammes d’abord paru dans Les Soirées de Paris en 1914 et qui allaient devenir des calligrammes, illustrent la fécondité artistique dont il était porteur. Ce numéro de Télérama publie notamment le beau calligramme « Tout terriblement » exécuté pour la catalogue de l’exposition Survage-Lagut en 1917 mais aussi en quatrième de couverture, ce poème du mois de février 1915 qui personnifie magistralement Lou, l’amante avec laquelle il avait trouvé le meilleur moyen de rallumer les étoiles (ci-dessous).
Parmi les angles retenus, on notera deux pages consacrées à sa prose érotique dont « Les exploits d’un jeune Don Juan » (traduction d’un roman allemand) et les « Onze mille verges » à partir desquelles une hallucinante représentation avait été donnée voici quelques années sur la scène de la Maison de la poésie (1).
La pagination de ce numéro spécial n’a pas été assez généreuse, on pourrait le regretter, tant il aurait été possible de mieux découvrir l’homme derrière l’œuvre. Guillaume Apollinaire représentait aussi une vie parisienne assez gaie, bambocharde, composée de nombreux amis plus ou moins illustres, de André Billy à Pablo Picasso en passant par le poète Max Jacob ou encore son ami d’enfance mort au combat, René Dalize. Il aurait pu également être mentionné, outre une indispensable chronologie qui manque à l’appel, la revue « Apollinaire » qui perpétue sa mémoire et son actualité.
Il n’en reste pas moins que pour 9,50 euros, ce hors-série de Télérama a de quoi séduire, exception faite d’un dernier article signé Jean Rouaud estimant via un procès d’intention malheureux qu’il aurait mieux valu que Guillaume Apollinaire ne survécût point à l’épidémie de grippe espagnole. Son auteur (c’est son droit) croit bon en effet d’affirmer que la guerre n’est pas « jolie » en interprétant de travers un fameux poème (« L’adieu au cavalier ») où le poète disait entre autres « Ah Dieu que la guerre est jolie ». Il en a été « longtemps blâmé, constate Laurence Campa dans les colonnes du journal avant de préciser que du temps se sera écoulé « avant que l’on comprenne le sens du poème tragique dont ce vers est le seuil, tout l’engagement de cet étranger qui a cru en la justesse de sa cause et en la valeur de sa mission poétique ». Ceux qui revenaient de la boue, du sang, des rangées de blessés et des piles de cadavres que le conflit produisait à la chaîne, avaient de surcroît dès leur retour, à se faire pardonner leurs excès de patriotisme. C’est semble-t-il encore le cas.
PHB
Il faut lire les 120 pages de L’Année d’Apollinaire 1915, l’amour, la guerre de la plume de notre ami Jacques Ibanès.
Préface de Claude Debon.
Fauves éditions.
André Lombard.
André Rouaud, qui est un écrivain sensible que j’apprécie, s’est laissé en effet abuser par l’ironie du vers « Ah Dieu que la guerre est jolie » qui n’est bien entendu pas à prendre au pied de la lettre (la suite du bref poème le prouve). S’il fut fasciné par les feux d’artifices des obus (vision d’un homme qui mettait la poésie en toutes choses), il perçut très vite l’horreur des combats. Relisons les poèmes de cet immigré en attente de naturalisation qui certes, clama son amour de la France en patriote, mais ne fut pas un va-t-en-guerre, me semble-t-il.
Apollinaire , toujours séducteur bien sûr;
Vous souvenez-vous de l’expo à L’Orangerie ? en 2016 ? 2017 ? J’y avais appris à être fascinée par le personnage..